Retour sur ce funeste vendredi où, semble-t-il, une de nos lettres s'est envolée.
Nous sommes le treize du mois.
16h. L'ombre sinistre du communiqué d’SetP flotte sur le pouvoir depuis un moment. Tous les hommes du président tremblent. Sur I-télé, fébriles, Sylvestre prend conscience de l’opportunité historique. Près de Dessertine, Lorenzi ou Cohen, il joue le triste sur les ondes. Il éructe quelques certitudes entre stress et hébétude, un peu comme les reporters déboussolés des minutes d’ouverture du Zombie de Romero.
Peu importe l’épreuve. En vérité, le chroniqueur économiste de mon slip jubile en secret: "Quelle merveilleuse opportunité pour resserrer le collier sur les miséreux et ceux du milieu, et ceux des provinces reculées ! il suffit de les soumettre encore plus, de les terroriser un peu mieux".
20h. Lors du bulletin d’info nocturne du service public, le Tintin dépressif qui gère l'économie confirme le jugement redouté. Et oui, c’est horrible. Enfin, c’est moins pire qu’en Grèce. Du moins, "si nous continuons les réformes" réitère le tiède d'un moue molle.
21h. Loin du modéré de Bercy, eux occupent les ondes TNT. L'orthodoxie des économistes invective les gueux. "Oisifs, dépensiers, devenez rigoureux nom de dieu !" D'un coup de Bi-bop, le président les sermonne: "Euh, mon script de cet été est une erreur. Terminée l’époque du «Si on perd cette triple lettre, je meurs». Ne hurlons plus sur les infortunés qui polluent mes espoirs de réélection. Lettre ou non, le printemps venu, ils prendront les urnes. Répétez-leur plutôt que perdre cette lettre est presque bénin, limite indolore. Préservons sévérité et coups de fouet pour les jours heureux qui suivront notre glorieuse victoire contre Le Pen fille."
22h. C'est fini. Ils n'y croient plus. Plus rien ne peut stopper les dévots des dividendes qui exècre cette dette. Le fiel horrifié est expulsé de nos chroniqueurs usés tel le jus poisseux d'un fruit trop mûr. Et ils y vont de leurs couplets de procureur et pointent du doigt le citoyen: "Tu bosses moins que les boches! Tu prends trop de jours fériés! Tes RTT pourrissent notre budget! Tu empêches de jouir de leurs revenus exponentiels nos grosses fortunes, courtiers moyens ou petits rentiers. Eux seuls sont essentiels pour notre société."
23h. "Le sommeil porte conseil et rien ne sert de communiquer vite: ce soir, les yeux du petit peuple sont rivés sur Confessions intimes !" susurre le président vers ses sbires. Ces derniers restent interdits. Kéké et grossiste en poissons sur internet préfèrent pour une fois se censurer. C'est dire combien cette remise de note renforce, entre eux et lui, le délétère.
2h. Le repos présidentiel est troublé. Les courbes en botox d'une muse vitrifiée ne le stimulent en rien. Elle lui réitère tout de même son soutien, de dix minutes minimum, si les prévisions Ifop se confirment le jour du scrutin. Il ne dort plus, l'échec se précise. D'insomnie, il dérive vers une rediffusion de "Money drop". Il pense: "les gens sont-ils sérieusement si stupides ? Etre réélu est donc possible". Il s'endort et songe: envoyons Juppé en première ligne sous les spots et les micros. Il peut s'en sortir et je me préserve.
Le jour se lève.
9h. Le concurrent PS s’offre un point-presse pour signifier que cette note est le contrecoup d’une politique de rigueur inique et contre-productive. ...et que vous verrez ce que vous verrez en fin de mois (ou bien mi-février, pourquoi se presser ?).
10h. De son côté, le premier ministre insiste : "Déroulons nos mesures. Elles n’ont pu pleinement montrer l’étendue de leurs effets. C’est une question de temps. Notre chef est le meilleur. Renouvelons-lui notre soutien."
11h. Revigoré, le plein d'EDL effectué, Estrosi se détend le sphincter sur twitter : "Cet enlèvement de lettre résulte d'une politique communiste qui sclérose nos terres depuis un demi-siècle" publie-t-il (ou quelque chose de proche).
12h. Les rentiers, eux, écoutent Minc sur le poste de TSF. Les prix du crédit pour les besogneux d'en-dessous qui s'endettent pour se loger risquent d'enfler. Des coins les plus friqués remonte cette supplique des proprios indignés: "Dieu du pognon, pourvu que les prix de l'immobilier continuent de grimper".
13h. Quelque freluquet du CFPJ, vêtu d'un tricot de fer, questionne Mélenchon sur le sujet. Des bouts de Mougeotte encore coincés entre les dents, le furieux lui gueule un bien senti: "Je m’en fous de vos Fitch et Moody's et de leur note bidon ! Nos vies importent plus que leurs profits !".
16h. Le blogueur s’interroge. Comment mes voisins vivent-ils cette correction des recteurs d'économie, devenue lourde ritournelle des experts en rigueur obligée? Quelqu'une lui répond: "Je m'en moque, vive les soldes !". Un mec lui glousse, content de lui: "Free Mobile me permet d’économiser trente euros, c’est le pied !". Une copine lui souffle : "Mon coffret DVD de Dexter et moi, on se concocte un pur week-end. Vingt-six épisodes d'un coup c'est top !". Un type en colère hurle: "C'est tout vu: Le FN m'offre 200 euros mensuel de plus". Seul, ce vieil homme s'inquiète: "Misère. Les chômeurs perdent espoir. Les jeunes ont des boulots peu rémunérés, les vieux des pensions réduites. Pour bien vivre ici, il ne reste plus que le Loto."
Le blogueur tente une synthèse: "Certes, les cieux s'obscurcissent sur l'Europe. Nous pouvons toutefois continuer de vivre bien une lettre en moins, non? Trembler comme ils veulent que l'on tremble est inutile. Pire, on est sûr de perdre puisque c'est jouer un jeu dont les règles sont les leurs". Sur ces lignes, il conclut son texte et se réjouit, un peu, que cette conjoncture et ces prêcheurs d'une économie décérébrée qu'ils soient incompétents, soumis, ploucs ou cyniques, lui permettent, même brièvement, de copier Perec.
13 comments:
Billet certifié sans "A" par Standard ans Poor's.
Exceptionnel!
Sarko a perdu au scrabble.
C'était quand même bien prétentieux de vouloir dominer avec une lettre qui compte pour 1 point, même en "compte triple" :)
"Des bouts de Mougeotte encore coincés entre les dents...", ah ah ah !
bien vu la référence a perec !
Il pourrait en profiter pour serrer la vis un peu plus, mais en aura t-il le courage maintenant ?
délicieux, superbe, exquis, on ne peut que féliciter !
Les minutes du drame sont fidèles au caractère de farce sinistre. Merci de nous en montrer les grosses ficelles. Guignol, guignol, le gendarme!!!
http://www.politis.fr/Monsieur-Baroin,16715.html
Aaaaaah nos "élites" illuminées par la mythomanie ! Ce soir encore sur france-culture, un grand moment avec Jean Francois Co.., qui assurément n'est pas un minable en foutage de gueule. Il nous avait clairement révélé le fond de sa pensée il y a bien des années, chez Ardicon...
" Je suis songeur-après un voyage aux states-devant ce travailleur lambda, qui travaille comme policier le jour et agent de sécurité la nuit dans un super-marché. Une mentalité face au travail qu'on ne trouve pas encore en France ! "
Oh bravo !
Vraiment bravo !
félicitations pour la qualité,le ton caustique et humoristique de ton blog
face au psychodrame " tripeulllll A " (mais bon après les chars Russes aux portes de Strasbourg en 81 et la France blonde et éternelle menacée par les hordes de Sarrazins islamistes en 2002 on a finit par intégrer la méthode en phase pré -electorale ....) je ne peux que conseiller l'excellent site qui porte excellement son nom
http://contreinfo.info
ou l'on peux constater que mème chez les Anglo-saxons certains ne pensent pas forcément comme les caporaux- chefs aux ordres du genre Sylvestre et Minc....
Tout simplement un bijou !!!!!
Evolution par rapport à l'année précédente de la dette publique française, en pourcentage du PIB :
http://alternatives-economiques.fr/blogs/gadrey/files/graphdettedroitegauche.jpg
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