À la demande d’un lecteur qui m’interrogeait sur la curieuse disparition en ligne des interviews de Jean-Luc Mélenchon effectuées avec des camarades blogueurs il y a 14 ans, je me replongeais récemment dans leur contenu et mesurais le canyon de désolation qui sépare le Mélenchon de 2010 de celui de 2024.
Reposons le contexte : En 2010, Mélenchon vient de quitter le PS et a créé le Parti De Gauche. Toute la classe politique le prend pour un rigolo. Mélenchon incarne alors un modèle de renouveau la gauche sociale, plus musclée et plus « littéraire », face à un socialisme totalement dévoyé.
En un mot, Mélenchon c’était l’espoir d’un retour à une gauche plus « pure ». Oui, je sais, lancé comme ça 14 ans après ça peut paraitre un peu foufou.
À la réécoute, la prose Mélenchonienne d'alors me parait pesante et je m’étonne de cette fascination qu’il exerçait sur nous mais il faut lui reconnaître de bonnes analyses et un art assuré de la punchline. En outre, il s'exprimait bien mieux que la concurrence d’alors y compris, et surtout, à gauche.
Sur les 4 heures d’interview, nous n’avions diffusé en 2010 que la partie consacrée à son rapport conflictuel avec les médias. Je n’ai pas encore revisionné l’intégralité des rushes réalisés peu avant la campagne électorale des régionales de 2010 mais je peux garantir une chose : jamais les mots Islam, musulman ou Palestine n’ont été prononcés et il n’a pas été question de religion ni de communautarisme. Tout ce qui est devenu son fond de commerce politique en 2024 n’était même pas dans son champ des possibles idéologique en 2010. Moi ou un des blogueurs présents aurions tenu le quart de la moitié du discours que tiennent lui, ses députés et ses candidats LFI en 2024, que le Mélenchon de 2010 aurait mis fin à l’interview en déclarant que l’on ne discute pas avec les obscurantisme et les fachos.
Mélenchon parlait alors des gens. Etait-il déjà dans le cynisme et le calcul électoral d’une union des anti sarkozystes ? Oui probablement mais au moins contribuait-il, sans discriminer, à faire avancer la question sociale et la contradiction économique dans un débat politique verrouillé par les éléments de langage des soldats UMP qui, eux, soufflaient alors sur les braises du communautarisme.
Aujourd’hui, fort de la percée de LFI à l'Assemblée en 2022, Jean-Luc Mélenchon est le gourou prédicateur d'un camp de petits-bourgeois putchistes à la dérive. La Palestine est devenu le sujet unique de la campagne LFI pour les européennes. J’imaginais que LFI s’intéressait à la défense des travailleurs français et de leurs intérêts, mais il semble plus important d’aller grossièrement tapiner quelques voix, qu’ils n’auront pas d’ailleurs, en brandissant du drapeau Palestinien à l’assemblée ou de branler de l’antisémitisme dans les universités de fils-à-papa.
Ce qui est valable pour LFI vaut pour EELV, l’autre grand perdant des sondages. Déjà bien mal en point avec son discours castrateur sur l’écologie dont chacun comprend peu à peu les effets indésirables à l'heure de l'inflation, EELV s’enfonce encore un peu en focalisant sa communication hors-sol sur des sujets anecdotiques. J’entendais encore hier une sénatrice EELV défendre les bloqueurs de puberté pour les mineurs qui veulent changer de sexe (vous savez ces enfants qui ont besoin d’une autorisation parentale pour se faire tatouer, mais à qui le lobby pharmaceutique applaudit des deux mains pour leur faire subir des protocoles coûteux et irréversibles pour changer de sexe parce que, bon, les choupinets ne sentent "pas biens comme ça"). Non la question des « trans » n’est pas un sujet. On ne fait pas de 0,00000001% de la population un axe de campagne politique sérieux. La défense de minorités, c’est le boulot des associations, pas des partis politiques visant les plus hautes responsabilités. On parle de la déconnexion du gouvernement avec les Français, c’est faire peu de cas de la stratosphère urbano boboïque sur laquelle orbitent les élu.e.s EELV. Les soucis et journées d'ielles ne correspondent en rien au réel de la majorité des Français. J’imaginais que EELV avait comme priorité l’environnement, le combat contre les industriels, le mal-logement, et non la définition de ce qui doit être ou ne pas être dans votre slip de vos enfants. De même, j’aurais aimé les entendre défendre le « mon corps, mon choix » au moment où le pouvoir entreprenait un coup de pression national pour vacciner en vain et à l’aveugle toute la population. Non là bizarrement c’était silence radio.
Depuis quelques mois une idéologie mortifère émane et domine à gauche. Dans la parfaite continuité des thématiques mises en avant par la macronie, on y parle plus que des menaces sur l'avortement (comme s'il était en péril), "droit à l’enfant" et utérus à louer, changement de sexe (euphémisme pour mutilation), marchandisation des corps comme conquête individuelle et euthanasie comme unique avancée sociale. Comment la gauche s’enterre n’est pas une question mais un constat qui me désole. Depuis sa percée à l’Assemblée nationale (occasion en or transformée en fiasco en moins de temps qu’il faut pour le dire), LFI est un repoussoir transpartisan. Ils auront réussi cette union-là.
Chez EELV, les cas sont à la fois plus simples et plus graves. La naïveté stratosphérique est confondante chez certaines des têtes médiatisées. Beaucoup croient sincèrement à leurs conneries. Le wokisme ambiant leur a juste permis de passer en vitesse démultipliée, sans plus aucun filtre de raison ou de décence. J’entends par wokisme : gommer tout discours de lutte sociale ou économique pour piédestaliser la défense de communautés et plus largement de « la victime » d’une oppression (généralement blanche, catholique - même de très loin - et masculine de plus de 50 ans).
C’est bien là l’écueil des élites d’extrême-gauche qui pensent se refaire une santé sur le créneau de la défense hypocrite des minorités, des opprimés fantasmés et des causes délocalisées les plus hors sujet possibles. La médiatisation de leurs outrances permet une exposition médiatique, mais ce faisant ils clivent l’opinion. Mais comme c’est aussi leur seule façon d’exister dans cet éco-système du spectacle fonctionnant sur le buzz et le clash, ils resserrent le discours sur ces seules thématiques. La conséquence est de mettre en avant et de griser leurs militants les plus timbrés, tout en se vidant progressivement de leurs sympathisants et de leurs électeurs plus rationnels, les plus nombreux.
Ainsi, dans un de ces paradoxes qu'aurait pu souligner le Mélenchon de 2010, le succès médiatique de LFI lui assure son échec électoral (l'esprit taquin notera que c'était le rôle qu'occupait le FN dans cet éco-système jusque-là).
Ça demandera confirmation sur cette élection, et surtout les suivantes, mais si l’on fait une synthèse de tous les sondages à quelques semaines des votes, celui de gauche se tasse dans ce pays et celui de droite se renforce. Selon sa propre grille d’analyse de l'extrême-gauche, le combat qu'elle mène contre l’extreme-droite depuis des décennies est un échec. Pensez-vous qu’il y aura une remise en question, une fois le Rassemblement National au pouvoir ? Non. La réalité ne leur convenant pas, ils la tordront encore un peu plus. Et dans ce grand récit picaresque des bons (nous) contre des méchants (tous les autres), ceux qui ne sont pas de son avis seront encore et toujours des connards d'intolérants à détruire.
Le jour où les auto proclamés progressistes arrêteront de prendre de haut leurs contemporains en leur assénant à coup de moral et de menaces ce qu’il est autorisé de penser ou non, la gauche comme alternative politique aura fait un grand bon en avant dans la crédibilité et l’on songera peut-être à considérer Mélenchon et ses disciples dans la course aux élections avec autre chose que la plus grande des méfiances.