Le bus 95 remonte le XVe arrondissement vers le centre de Paris, le long d'un axe dit populaire, sans une âme qui traîne après 20 heures. Pas de piétons, peu de lumières, quelques variations bleutées du journal télévisé s'échappent synchrones par les alcôves alignées aux étages des barres en béton.
Le bus traverse la place du 18 juin et change de régime pour glisser, Rue de Rennes, vers le centre à fric.
Ici comme dans le XVe, malgré leurs adresses précieuses, les rideaux de fer des bars et des petits commerces (vente à emporter, d'accessoires ou de téléphonie mobile) sont de plus en plus souvent baissés, même la journée, barrés de la mention bail à céder. Vu du bus, le défilement du panorama urbain prend un sens que le piéton parisien concentré à esquiver les colonnes publicitaires, les kiosques à Closer, les bancs où personne ne s'assoit jamais, les velib et les scooters mal garés ne peut appréhender. De cette hauteur, aux premières heures de la nuit, on perçoit mieux l'hécatombe : Succession des liquidations judiciaires. Dans ces humbles commerces là, il ne sera plus question de travailler le dimanche ou pas.
Le bus s'invite dans le quartier dit aisé. Le mètre carré y est à peine plus cher que Porte d'Orléans, c'est à dire bien trop cher pour ces gens qu'on appelle les gens. Aux pieds des façades blêmes des immeubles inhabités s'étalent, illuminées, les grandes boutiques de chaîne. L'une chasse l'autre. Elles offrent aux yeux du fauché, leurs vastes alignements de jeans boot-cut ou de polos à kékés. A ce moment précis, la vie est ailleurs. A Vierzon ou dans la banlieue de Nancy ça pulse plus qu'ici.
Au cœur du cimetière urbain, depuis un an, ne sont inaugurés que des mini-banques avec des mini-supérettes pas loin pour nourrir à prix surtaxés les employés à mini-salaires. La grande distribution, je comprends : Elle s'adapte et elle en a sous le matelas. Mais, il me semblait entendu que pour les banques c'était tendu. 2008, une mauvaise année. En 2009, les banques sont sauvées, elles repartent d'un bon pied. La crise maintenant c'est pour leurs clients.
De ma plate-forme d'observation mobile, le banking-business m'a l'air plus florissant que jamais. Des banques, au pied de ce pâté d'immeubles comme au précédent, j'en compte bien plus que de boulangeries, de boucheries et de fleuristes réunis. Aux angles des boulevards, règnent toujours les grandes succursales d'antan. Sur leurs vitrines sont placardées des annonces idylliques et colorées pour tel prêt à taux libérateur garanti.
Le bus pénètre maintenant dans ces ruelles étroites où le moindre arrêt de véhicule cause la paralysie complète du vieux Paris. Là aussi, je retrouve tous les 15 mètres une enseigne familière, que parfois au détour d'un scandale l'on a préféré rebaptiser, Banque Nationale du Pari ou Crédit Lions-les. De la taille d’une sandwicherie (et pour cause, elles occupent d'anciennes sandwicheries), ces établissements bonsaïs s'étirent le long d'un corridor de 3 mètres de large sur 10 de long. La journée on y trouve deux employés qui s'ennuient ferme, pas de coffre et jamais trop de clients puisque elles sont la réplique à l'échelle 1/4 d’autres locaux de mêmes enseignes, plus grands et aussi vides, à moins de 100 mètres de là.
C'est ici que je descends. De cet arrêt au suivant (mon lit à 150 mètres), je compte 8 banques, 7 SDF et 12 distributeurs de billets.
De quoi vais-je me plaindre ? Désormais pour gérer mon épargne estimée à 16 euros, j'ai à ma disposition 3 officines à moins de 2 minutes de marche.
Une question cependant :
Sont-ce nos frais de tenue de compte ou les milliards injectés qui permettent au secteur bancaire (innocente victime des tristes évènements que l'on connaît) de se refaire une santé foncière en récupérant les emplacements en or des petits commerces qu'il a contribué à faire péricliter en leur coupant net des crédits, via le sourire désarmant d'une conseillère clientèle de 25 ans débitant son désolé mais non négociable :
- "Vous comprenez Monsieur Fauche-man c'est la crise" ?
Probablement un savant mélange, fiscalement optimisé, des deux.
(Ci-dessous : Une version rurale.)
* Banque (n.m) : service forcé et payant, de collecte et d’exploitation de votre argent.
7 comments:
Merci pour cette fidèle description de Paris. Il est effroyable de se rendre compte, que ça a bien empiré encore "des mini banques !" depuis que je n'y habite plus.
Les banques sont les nouveaux "rois" de ce monde qui tourne autout de l'argent.
Ce sont elles les nouveaux esclavagistes !
L'autre jour dans Paris, sur la Place de la République, je regardais moi aussi les rues, et je voyais quasiment que des enseignes de "chaîne". (en plus de tous les immeubles aux fenêtres éteintes, inhabités, que j'avais remarqué depuis un certain temps)
Je me disais, c'est ça Paris, maintenant ? Un centre commercial type "les 4 temps" à ciel ouvert ?
D'autant plus que dans un vrai centre commercial, on peut au moins circuler à pied facilement, sans entendre le bruit des voitures, ni respirer leurs fumées ! ;-) Paris, c'est vraiment un centre commercial mal conçu, moi j'vous le dit ! En plus, ya même pas de parking gratuit, on peut pas circuler !
Je me disais aussi, que celui veut faire ses courses avec les magasins de bouche de proximité, devait bien galérer ! Car ils sont éparpillés / éclatés un peu partout maintenant, avec entre les deux les magasins de franchise... voire remplacés par ces magasins de franchise... Enfin, si ya plus d'habitants, plus besoins de commerces de bouche !
Paris n'est plus une ville dans laquelle on peut vraiment "vivre".
On peut y aller pour travailler, pour sortir, pour faire du shopping.
Mais VIVRE avec un grand V, j'ai l'impression que c'est de moins en moins le cas. (ça doit dépendre des quartiers peut-être ? Je connais surtout le 11ème).
MAGNIFIQUE
Très bien imagé, pendant cette lecture, j'ai l'impression d'avoir fraudé le bus.
BIENVENUE A SARKOLAND
Belle description de Paris by night.Très cinématographique.
Sur l'image du supermarché à ciel ouvert, je trouve que ça ressemble plus à un parc d'attraction car la privatisation de l'espace public a force de déshumanisation de quartiers entiers; les façades vides de leur contenu devenant de pur décor rythmant l'errance du chalant.
Avec la crise, bientôt le promeneur sera simple spectateur de ce désastre socio-économique que représente la vile privatisée.
Le nettoyage au karcher de la politique Sarkozienne achèvera bientôt les derniers sans domicile, dernier sursaut d'humanité dans des quartiers de plus en plus aseptisés.
Restent quelques associations humanitaires (DAL...) luttant pour la dignité et le maintien des Droits de l'homme les plus elementaires se voyant imputées aujourd'hui de lourdes amendes pour "dépôt d'objet encombrant sur la voie publique" ( rappelons qu'il s'agit dans cette affaire d'êtres humains dans des tentes Quechua).
Affligeant...
cedriko
Après la lecture d'un texte pareil, il ne peut plus se faire le moindre doute sur le fait que Seb a un talent d'écrivain bien réel ... On lui souhaite tout le succès possible!
Dans le 20eme aussi, les cordonniers, les bars, les retoucheries sont remplacées par des banques.
il y a 10 ou 15 ans, c'étaient les fast-foods qui envahissaient tout.
Il faut nationaliser ce bras armé de l'oppression que sont les banques.
Louis Maime
oui nationalison et ensuite engageons des milliers de fontionnaires. et là ce sera vraiment la merde !
L'etat est un glouton, ne l'avez vous pas encore remarqué. les grêves ne vous ont pas encore assez fait ch... ?
c'est du suicide.
la solution, la sélectionnnaturelle, laissons les banques faibles mourir et n'affaiblissons pas les fortes en sauvant les faibles. Mais l'être humain c'est autre chose, on soutien les faibles par éthique. les animaux l'ont bien compris. la survie d'une espèce passe par le sacrifice de certains individus.....et n'allez pas me dire que la nature a tort, c'est elle qui est à l'origine de tout.
@jean-pierre tarrin
Sélection naturelle comme dans la nature; le fort bouffe le faible ? OK. Si on appliquait stricto sensus cette théorie, de quel côté pensez vous être ? Pour ma part, je pense qu'en toute logique, vous pensez vous situer du côté des forts. Dans le cas contraire, étant faible, vous demandez l'application d'un concept qui vous condamne à mort inéluctablement.
Etes vous vraiment sur que les forts vous considère comme l'un des leurs ?
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