A un jour d'intervalle, Patrick Cohen recevait sur France Inter, Jean-Luc Mélenchon puis Marine Le Pen. On aurait pu s'attendre à la même pugnacité de la part de l’interviewer par ailleurs très à cheval sur qui il convient d'inviter ou non. Et bien non.
Là où la matinale du premier s'est consacrée aux deux tiers à un règlement de comptes entre le patron du Parti de Gauche et les journalistes en studio, la présidente du FN a déballé tranquillement ses idées et ses inepties sans éveiller trop d'énervement en face, hormis lorsqu'il a été possible d'établir des similitudes entre elle et lui.
En comparant les deux interviews, et même s'il en ressort que Patrick Cohen semble moins offusqué par un excès de droite que par plus de gauche, force est de constater que Jean-Luc Mélenchon s'est planté tout seul en s'enfonçant dans sa propre caricature du punisher des méchants médias, là où Marine Le Pen a réussi sa com' en chloroformant la contradiction.
Mélenchon et les médias, c'est une vieille histoire que l'on pourrait résumer ainsi : faut que je clashe pour que j'accroche. Depuis le temps, il devrait comprendre qu'on ne peut pas engager un combat contre les médias sur leur terrain et espérer le gagner. C'est impossible. Le journaliste est particulièrement offensif... sur la défense de l'idée qu'il veut vendre de son métier. De plus, il est chez lui. Il est là avant, il est encore là après[1], C'est son environnement et, d'une phrase ou d'un sarcasme, il y fait la pluie et le beau temps.
Certes, Jean-Luc Mélenchon avait légitiment la rage ce mardi matin après avoir été traité tout un week-end d'antisémite ...par des journalistes sur la base d'un propos déformé ...par un journaliste. La question du barnum médiatique qui fabrique la pensée lui tient également à coeur. Mais, au lieu de s'en servir, il se laisse emporter dans un match de boxe avec la profession qui n'attend que ça de lui pour la gloire du show. La méthode est redondante, occupe un temps d'antenne conséquent, n'élève en rien le débat et finit par être contre-productive en ce qu'elle rajoute une impression de haine qui discrédite le reste de son indignation (dans le même temps Marine Le Pen à abandonné cette thématique antipresse et s'est calmée sur le débit des mots).
De l'autre côté du poste, l'auditeur et le spectateur sont bien moins naïfs que Mélenchon ne le croit. Le spectateur attend du journaliste qu'il soit aiguisé et de l'interviewé qu'il ruse et déjoue les pièges pour avancer ses idées sans violence et si possible avec le sourire (je sais c'est gnangnan, mais c'est vu, revu et scientifiquement prouvé). De plus, qu'on l'aime ou pas, l'interviewer est l'interface de l'auditeur non-militant, son point d'identification, conscient ou non. Tu es verbalement violent contre un journaliste ? Tu es quelque part violent contre celui qui t'écoute.
Et voilà comment Marine Le Pen arrive à rassurer en disant des conneries, mais en les disant bien, et Jean-Luc Mélenchon met tout le monde à cran dès le matin... à commencer par ceux qui ont ou auraient tout pour être d'accord avec lui.
[1] Intéressant d'écouter les minutes suivant l'intervention de Melenchon et le passage d'antenne entre Patrick Cohen et Pascale Clark.
12 comments:
Mouais bof... Cela suppose que le journaliste est neutre. Ce que je ne pense pas.
Il est clair que maintenant de plus en plus de monde regarde les "journalistes" avec beaucoup de méfiance (je parle surtout de ceux des médias audio-visuels, car il en reste encore quelques-uns, des vrais, dans la presse écrite, mais peu).
La dispute entre Taddei et Cohen
http://www.youtube.com/watch?feature=player_embedded&v=N7W_nzIdtGo
montre que pas mal d'entre eux ne font que nous servir leurs opinions personnelles (dont on n'a rien à faire), ce qui peut se concevoir sur une chaine privée, mais pas sur une publique.
Enfin, en ce qui me concerne, cela fait quelques dizaines d'années que je ne considère plus les journalistes audio-visuels comme des sources d'information. Par contre leur spectacle est une information : il nous renseigne sur ce qu'on pense dans les "hautes sphères", et sur ce qu'on aimerait bien nous faire penser, ou nous empècher de penser.
terrible double accueil, c'en est même glaçant
(faut que je revoie Aguirre !)
"De l'autre côté du poste, l'auditeur et le spectateur sont bien moins naïfs que Mélenchon ne le croit."
Absolument pas d'accord avec ça. Si ceux-ci n'étaient pas naïfs à mort, alors pourquoi 9 personnes sur 10 me disent "Mélenchon-méchant-avec-les-journalistes-qui-sont-neutres" ? Hein ?
Très belle et juste analyse (toi, tu bosseras jamais à la télé)
Et si, tout simplement, les journalistes médiacrates étaient guidé par une boussole très sûre : leur conscience de classe. Ces journalistes si liés au pouvoir savent très bien – consciemment ou moins consciemment – que le discours de Mélenchon attaque le cœur du système alors que celui de Marine Le Pen renforce l'atmosphère de peur et de crainte qui conforte l'ordre établi. Cette « boussole symbolique» qui Leur permet de distinguer le bon grain de l'ivraie est celle-là même qui leur a assuré une éminente position professionnelle. C'est parce qu'ils disposent de cette conscience de classe imparable qu'ils ont été sélectionnés aux divers stades de leur ascension de carrière. Il n'est qu'à voir comment sont traité les opposants qui usent d'un discours moins tranchant. Ils sont vaguement tolérés, traités avec un léger mépris et ne passent jamais – ou si peu – la barrière de la notoriété. En établissant de façon claire et répétée la distance qui le sépare de ces fidèles du pouvoir, Mélenchon choisit peut-être la seule tactique possible pour crever l'écran malgré la vigilance néfaste de ces professionnels du décervelage. Et par delà l'écran peut-être arrive-t-il enfin à toucher sinon à la majorité, tout au moins une forte minorité de ceux auxquels ils s'adresse. Il n'y a pas de bonne méthode ; on ne sera jamais assez polis ni assez discrets pour les médias du pouvoir.
C'est marrant comme on peut avoir une analyse totalement différente.
Voici ma vision de l'histoire:
1 - Le front de gauche lance le clash du salopard en utilisant la méthode mélenchon (tm) pour qu'on parle de leur congrès qui sans celà aurait fait une brève dans un ou deux journaux au mieux
2 - La presse fait semblant d'être effarouchée et l'invite pour s'expliquer. Jusqu'ici, tout va comme prévu.
3 - Mélenchon profite des 20 minutes qui lui sont consacrées pour placer 3 minutes de message.
4 - Cohen (qui a été ridiculisé sur ses choix d'invités la semaine dernière par Taddéi) cherche à montrer qu'il n'a pas besoin de clash médiatique pour inviter des parias médiatiques
Donc le passage d'antenne de Marine est un dommage collatéral lié à une conjonction de faits, pas une conséquence directe de la stratégie mélenchonienne. C'est la faute à Taddéi !
René 19
Prendre le temps et le plaisir de le réécouter tranquillement mener, contre le néolibéralisme rampant dans nos médiats, la bataille plus que jamais nécessaire pour dénoncer cette oligarchie financière qui ne craint pas d'imposer la misère si besoin est, à la terre entière.
Ce qui m'étonne c'est que Melenchon semble toujours croire qu'il a un "public lambda" dans ce genre d'émission alors que les spectateurs sont toujours intéressés par la politique.
Aguirre la colère de Dieu! superbe référence
Sur la forme, Mélenchon est superbe ! Sur le fond, je le trouve pusillanime, à l'aune de mes propres convictions, mais là c'est une opinion personnelle.
Cohen.... ben c'est un présentateur de la télé. Tout est dit. Je n'ai pas dit journaliste.
Je rappelle que de la Droite Forte, en passant par le FN, l'UMP, les divers droite, le centre, jusqu'au parti solférineux, il s'agit du même mouvement néolibéral. Seule la forme diverge, un peu.
• Pour juger sur pièces: http://www.jean-luc-melenchon.fr/2013/03/26/invite-de-la-matinale-de-france-inter-7/
• Excellent commentaire de «mickey cruel»; il n'y a pas de bonne méthode avec les médias d'un système quand on veut changer le système.
• Mélenchon a dit plus de choses en trois minutes éparpillées qu'Hollande en quatre-vingt-dix continues.
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