Michael Moore revient à la base. Le cinéaste de gauche, natif du Michigan[1], conclut avec Capitalism : A love story un cycle de films entamé vingt ans plus tôt avec l'émouvant Roger and Me{2] : La trahison du peuple américain par son gouvernement, la réduction à néant de ses espérances, la vente à la découpe de l'industrie et des services publics par des élites au service exclusif des corporations privées.
Pas de pitié avec eux. Par essence, le capitalisme génère le mal et toute tentative de le réguler est une arnaque, spécialement lorsque cette régulation (à base de subventions publiques sans retour) est entre les mains d'incompétents et / ou de corrompus : C'est en gros la thèse du dernier opus, le plus radical, du réalisateur un tantinet blasé qui "n'en peut plus de vivre aux Etats-Unis mais qui refuse d'en partir".
La "love story" est l'objet du premier segment du film. Comme tout enfant de la classe moyenne américaine ayant grandi dans les années 60, le petit Michael a bénéficié des retombées d'une croissance continue basée sur un emploi stable du père, une consommation de biens de transgression et une foi absolue dans le capitalisme comme modèle unique et bienfaiteur. Amour trahi, croyance battue en brèche depuis deux décennies jusqu'au point de non-retour : La crise des subprimes et le sauvetage des banques.
Moore est fidèle à son style : Le bulldozer. Articulés autour de transitions plus ou moins heureuses, se succèdent des segments présentant des situations cocasses ou abjectes affectant des américains moyens appauvris en un claquement de bulle spéculative :
- Des familles expropriées de leur maison (pourtant remboursée) dormant dans une camionnette à 30 mètres de chez elles.
- Un agent immobilier s'autoproclament fièrement "le vautour", spécialisé dans la revente immédiate de ces maisons.
- Des assurances vie contractées sur le dos de salariés par leurs employeurs à leur bénéfice exclusif (et son équation logique : Nos employés ne meurent pas assez jeunes !). Exemple : L'employeur gagne 5 millions de dollars à la mort d'un de ses salariés (qui a bossé 18 ans dans la boîte) et ne reverse rien à la famille qui doit s'endetter pour financer les obsèques (C'est y pas une grande famille le capitalisme !)
- Des pilotes de ligne moins rémunérés que des managers de fast-food (et sa conséquence directe : Des crash en série.)
- Des étudiants s'endettent à hauteur de 150.000 dollars pour financer un cursus qu'ils rembourseront en développant de nouvelles martingales boursières et autres pièges à pauvre pour leurs banques bourreaux.
- Le culte financier du produit dérivé foireux (que même leurs créateurs peinent à expliquer).
- Des ados injustement envoyés en prison par paquets de 1000 avec la complicité d’un juge payé sur commission pour gonfler les bénéfices d’un concessionnaire carcéral privé.
- Le passage en force au Congrès du plan Paulson de soutien aux banques malgré la désapprobation populaire.
J'en passe et des pires. C'est le worst-of illustré de ce que l'on peut lire ici depuis deux ans : Une kermesse aux raclures à en filer la nausée même à Sabine Herold, un truc qui donne envie de péter à coup de pelle de la berline allemande à vitres teintées et chauffe-nuque (ça détend) et de sortir le canon à merde aux points presse de Luc Chatel.
C'est en toute logique désespérée qu'en fin de film, un Moore arrivé au bout du paradoxe du cinéaste contestataire distribué par une major et auréolé dans tous les festivals guide son spectateur sur le chemin de la riposte citoyenne. Prenez votre destin, votre entreprise et vos économies en main et retrouvez le sens du collectif : C'est à vous d'écrire la suite.
Invité à l'avant-première, je craignais moins pour le fond du film que pour sa forme. D'autant que j'avais des réserves avec les récentes œuvres du cinéaste, spécialement le palmé Fahrenheit 9/11 sorte de Fox News inversé aussi manichéen que ce qu'il dénonce.
Lié à son ambition d'œuvre somme et contraint par son format, Capitalism a ce principal défaut de brasser les thématiques à un rythme parfois indigeste (ce qui est clairement énoncé dans un "préambule pour cardiaques") et de passer rapidement sur des personnages ou des thèmes qui méritaient de s'y arrêter. Notamment l'autogestion des entreprises (rarement évoquée dans les médias français, elle est littéralement inconnue de la majorité des américains) qui est probablement la perspective la plus épanouissante et rémunératrice pour le salarié (ce qui explique sa sous-médiatisation alors qu'elle fonctionne depuis des années dans de nombreuses entreprises, petites et grandes).
Faisant feu de tout bois pour étayer la démonstration parfois simpliste mais souvent jouissive, le film de Moore est avant tout un travail de vulgarisation sur les pathologies chroniques du capitalisme débridé conçue pour parler au plus grand nombre de ces sujets qui les intéressent peu mais qu'ils subissent tant. A défaut d'être un grand film et malgré son mauvais titre, Capitalism : A love story s'impose comme une œuvre d'intérêt collectif facile d'accès, à projeter en classe histoire de décrypter les raisons du désastre et envisager sérieusement une gestion alternative de l'état privilégiant l'homme et non le profit.
Pistes clairement exposées par Franklin D. Roosevelt peu avant sa mort dans un discours final "oublié" par l'histoire :
"- Le droit pour chacun à un travail utile et correctement rémunéré;
- Le droit pour chacun de manger à sa faim, de pouvoir se vêtir et d'avoir des loisirs;
- Le droit pour tout fermier de cultiver et vendre ses produits à un tarif lui permettant, à lui et sa famille, une vie décente;
- Le droit pour tout entrepreneur, petit ou grand, d'échanger dans une atmosphère dégagée de la compétition et de la domination des monopoles domestiques ou internationaux; - Le droit pour chaque famille à un toit décent;
- Le droit pour chacun à la protection médicale, et aux meilleurs conditions de santé possibles;
- Le droit pour chacun à une protection contre les conséquences économiques de la vieillesse, de la maladie, des accidents de la vie et du chômage;- Le droit pour chacun à une bonne éducation."
Capitalism : A love story en salles le 25 novembre.
A voir ou revoir avant : Roger and Me (1989).
A voir également : The Big one (1997) et Bowling for Columbine (2000).
[1] Michigan, état du nord, jadis le plus riche, aujourd'hui parmi les plus pauvres de l'Amérique. Ghettos, villes fantômes, infrastructures en ruine : à visiter d'urgence pour se faire une véritable idée du niveau de tiers-mondisation interne atteint par la plus grande puissance économique mondiale. Avis aux fans d'M6 : Si vraiment vous voulez devenir propriétaires, vous pouvez acheter dans les faubourgs de Détroit des quartiers complets pour le prix d'une Twingo.
[2] Roger and Me (1989) sur les conséquences durant les années Reagan, de la désindustrialisation du Michigan passant du bastion mondial de l'automobile au terrain vague.
18 comments:
Et Sicko ?
Il pue ?
"Sicko", ouais, c'est pas faux :)
Par contre, Seb, aucun rapport, mais je serai très curieux d'avoir ton avis sur cette histoire... Comment tu vois chacun des protagonistes...
-> http://www.rue89.com/actu-rap/2009/10/21/de-clicli-a-la-rue-de-valois-le-conte-de-morsay
Rhaaahh, tu tombes dans le même panneau qu'un vulgaire journaliste chausse pied (comme tu dis) de libéinrockupgaro !
Les films de Michael Moore ne sont pas faits pour toi ni pour le public français ou européen. Pour quelqu'un qui comme toi j'imagine, suis un peu l'actualité internationale, il n'y a pratiquement rien à apprendre dans aucun de ses films qu'on ait pas déjà lu ailleurs.
Non, c'est à destination d'un public américain, qui à priori n'est pas fan de documentaire et à qui ils faut parler avec des concepts percutants et des phrases simples si on veut atteindre le plus grand nombre avant qu'il ne s'endorme. Quitte à prendre quelque libertés et à faire certains raccourcis. Alors évidemment c'est facile, vu de France ou d'ailleurs, de railler cette méthode. Et plus encore, c'est malhonnête de le mettre dos à dos avec la Fox. Ca n'as rien à voir et si ils utilisent (parfois) des méthodes (qui peuvent sembler) similaires, les conséquences sont salement différentes. D'un côté il y a une volonté farouche de faire éclater la vérité et de filmer ce qui ne l'est jamais, de l'autre un diarhée haineuse et quotidienne en grande partie responsable de l'état actuel de ce pays. Faudrait pas se tromper d'ennemi non plus.
merci pour le compte-rendu ! pas pu y aller, j'suis en province moué...
@Cioran > Pas vu Sicko, je ne peux pas me prononcer.
@David A. > Dans la mesure où l'on expérimente ici en accéléré ce qui s'est passé aux Etats-Unis en un demi-siècle (et que le décrochage sera bien douloureux ici dans la mesure où notre "confort" était largement plus généralisé), je crois au contraire qu'il est pertinent de voir ce film sur notre continent.
Mais d'accord avec toi sur ce point, le film comme mon blog est confronté au même problème : Il s'adresse prioritairement à ceux qui n'ont aucune raison de le lire.
Pour Moore, cela influe sur la forme de ses films conçus sur une logique télévisuelle sonnant le spectateur en permanence. C'est pour cela que j'ai du mal avec un film comme Fahrenheit (d'autant que j'étais au Michigan à la même époque et que je voyais une toute autre réalité que celle dépeinte dans le film et que les élections de 2004 ont d'ailleurs confirmée.)
Quant à la distinction entre spectateurs américains et spectateurs français : Pour aller régulièrement aux USA depuis 1990, je ne fais absolument plus aucune distinction entre les deux audiences (mêmes aspirations, mêmes divertissements, mêmes opinions).
On s'est gravement américanisés ici (voire on serait même devenu plus américains que les américains eux-mêmes mais j'y reviendrai dans un prochain billet.)
@Kaotoxin > Pour avoir vu des affiches sauvages du gars en question un peu partout dans Paris, je dirais une fois de plus que "l'important c'est le buzz".
" le film comme mon blog est confronté au même problème : Il s'adresse prioritairement à ceux qui n'ont aucune raison de le lire".
D'où la question de la LISIBILITé VISUELLE (petits caractères avec très faible contraste), à laquelle j'exhorte - une fois de plus (de trop, je sais :-) Mister Musset à réfléchir.
Tout le monde n'a pas de bons yeux (vous verrez à mon âge... :-)
.
Très bon résumé.
Moore détaille et fait un reportage, il raconte des histoires et donne son avis.
le + intéressant est le point de vue des deux curés et de l'évêque: tout ça c'est bad, evil .
Excellent texte. Je passe quelquefois, celui me donne envie de te remercier.
Les familles des victimes de l'attentat de Karachi viennent d'écrire un texte ravageur pour le clan Balladur-Sarkozy, suivi d'une pétition :
http://www.verite-attentat-karachi.org/
Salut,
Pour sa défence, M. Moore a le défaut d'être simpliste dans ces films mais il faut se dire qu'il parle avant tout aux américains (non ?).
Ceci pas pour dire qu'ils sont stupides mais ils ont une vue du monde très propre à eux.
Merci pour les liens toujours aussi piquants.
ps : Syko est vraiment pas mal, à voir pour tous les français (et autres) qui se plaignent de l'utilité des soins à la sauce service public
@++
personnellement je trouve la critique de Fahrenheit 9/11 exagérée,je n'y ai vu aucun manichéisme,de plus difficile de s'arrêter sur tous les noms ou points intéressants dans un documentaire de 1h30. le travail de michael moore a au moins le mérite d'exister. j'imagine qu'aux states cela doit être plus dur qu'en France et pourtant personne ne le fait chez nous.
une derniere chose,sicko est tres bien et met tres bien en evidence l'inhumanité du systeme de santé americain.
Sicko est prophétique d'une certaine manière.
Grâce à nos chers français égoïstes, le régime des mutuelles privées va devenir réalité ici. Et ils vont pleurer...
Capitalism a love story ne va pas assez loin, notamment sur les intentions des grandes banques d'affaires comme JP Morgan ou Goldman Sach.
A ceux qui croient encore que ces gens vont sauver l'américain ou même l'européen moyen, détrompez vous. Ces hyènes des temps modernes vont ronger ce qui reste de la carcasse occidentale avant de la laisser pourrir : ils ont déjà trouver d'autres charognes en Asie...
je suis vert, j'étais invité à l'avant première...sans pouvoir venir.
la rage au ventre !
@Dom > Ça arrive, ça arrive. Je ne peux en dire plus, mais les vœux de clarté seront bietôt exaucés.
@cedh007
"le travail de michael moore a au moins le mérite d'exister. j'imagine qu'aux states cela doit être plus dur qu'en France et pourtant personne ne le fait chez nous."
Je crois que vous sur-estimé grandement l'état réel de la liberté artistique dans notre pays. Pour ne donner qu'un exemple marquant et symptomatique de ce que j'avance :
http://www.alterinfo.net/Sarkozy,-Israel-et-les-Juifs-,-un-nouveau-livre-interdit-en-France-!_a32951.html
http://www.dailymotion.com/video/x9dz7h_sarkozy-israel-et-les-juifs-13_news
Le destin de ce livre (Sarkozy, Israël, et les Juifs) en France, est révélateur de l'autocensure appliquée dans notre pays. Si Michaêl Moore a déjà eu des difficultés sous l'ère Bush, pour trouver des diffuseurs, il a toujours fini par trouver un professionnel courageux pour faire son métier. Dans le cas de ce livre, aucun, je répète, AUCUN, éditeur français n'a voulu publier ce livre.
C'est vous dire, le climat de soumission, de peur, ou d'intimidation qui règne dans ce qui reste de notre république démocratique.
c'est bien ce que je dis,il n'est pas possible,pour des raisons d'autocensures de faire un travail aussi similaire et mediatique qu'aux etats unis. les journalistes,a force de vouloir grapiller les mietes du succes,n'hesite pas a lecher le cul du pouvoir en place,alors qu'il serait si simple de foutre ce systeme en l'air. quand a michael moore,j'imagine qu'il doit avoir des classeurs entier de menaces de mort,surtout dans un pays qui compte 300 millions d'armes a feu
Tiens, je n'avais pas vu passer ton très bon résumé en effet !
A voir ce film oui !
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