11 avril 2020

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#confinement jour 28 : nulle part ailleurs

Je perds pied. C’est venu doucement mais certainement, le révélateur c’est la décision d’Anne Hidalgo d’interdire le jogging entre 10 et 19h dans Paris. Cette championne toute catégorie est passée en deux semaines de la promotion dithyrambique des jeux olympiques à la criminalisation de la pratique sportive. L'énième restriction de liberté, avant la prochaine, symbolise parfaitement l’absurdité sans fin du piège dans lequel nous nous sommes tous enfermés et que nous défendons pour la plupart ...pour l’instant. L’éditorialiste eurobéat Jean Quatremer pour qui je n’ai aucune sympathie particulière en temps normal a le mérite de mettre les pieds dans le plat sur Twitter et de poser la question qui tue : pourquoi s’infligerait-on tout ça trop longtemps pour quelques dizaines de milliers de victimes (dont la plupart âgées), au risque de nous mettre tous collectivement à la fois par terre moralement et économiquement pour très longtemps, et causer bien plus de victimes ? Les réactions suscitées sur les réseaux sociaux, de part et d'autre, démontre surtout que le débat est impossible. Il n’est même plus souhaitable puisque personne ne sait au fond rien et que personne n’a de solution. Croyants ou fatalistes, nous sombrons chacun à notre vitesse, pas du virus, de nous. Les élus impuissants culpabilisent les citoyens, qui eux mêmes reposent la faute sur leurs voisins, qui eux mêmes pointent du doigt les élus. 

Tous trop impliqués pour être lucides.

Je ne me protège plus dehors, juste un foulard dans les endroits de trop forte promiscuité pour éviter de trop propager le machin chinois si je l’ai déjà attrapé. Aucune peur de l’attraper. Si ça se passe, ça se passe et j’en serai débarrassé d’une façon ou d’une autre.

Moi qui ne prenais plus le métro depuis des mois à cause des entassements, je me sens même plus à l’aise proche des gens depuis qu’ils respectent une distance de sécurité. La distance de sécurité c’est ma normalité.

Journée donc isolée à travailler, enveloppé par la certitude, pas loin, d’un ciel radieux et du chant continu des oiseau. L'appartement baigne dans un autre monde, une réalité virtuelle, ouatée, plutôt bien foutue. Je me pose dans la chaise longue dans l'axe d'un rayon du soleil, en fermant les yeux. L'illusion d'un agréable extérieur est parfaite.

Je ne tiens qu’aux horaires de récupération d'A. et R.. Le reste autour disparait peu à peu, à mesure que je m’enfonce dans ce tunnel, relativement confortable, de l’enfermement à domicile. Je n’écoute plus la radio ni ne regardé la télé, me cantonnant à quelques Unes sur les réseaux sociaux.

Grâce à notre soucis administratif d'infantiliser les pèquenauds, je cours donc à heure régulière et sur le même trajet. Nous sommes en toute logique plus nombreux à courir en même temps, mais c'est à relativiser : on quadrille plus le quartier qu'on ne se suit. En revanche, je constate une hausse du trafic automobile du simple au triple en 24 heures. Comme dirait Hidalgo : « Assez du manque de civisme irresponsable de ces conducteurs déguisés en automobilistes qui profitent de l’autorisation de sortie pour promener leur moteur. »

Lecture de deux courts livres d’Annie Ernaux dans la journée, dont l’un est la description clinique des dernières années de sa mère qui ma convainc de l’importance de maitriser sa mort. J’espère avoir le courage et la possibilité d’en finir quand il sera temps de le faire, et que je ne changerai pas d’avis d’ici-là, car non il n’y a aucune gloire ni bonheur, ni pour soi ni pour les autres, à dériver de la sorte.

P. vit cela à quelques kilomètres d'ici. Nous sommes la somme de nos choix. Sa vie, ses mots, ses actes, tout le conduit au fond à cet isolement, le virus n’est que la petite touche d’ironie supplémentaire sur le contrat de sortie. Cela le ferait surement rire s’il avait encore conscience de la situation mondiale, et de sa place dans cette situation. C’est peut-être ce qui m’effraie le plus. Perdre l'ironie, perdre jusqu'à la tristesse.


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