21 décembre 2013

Quenelle de 45.000 pour tous !

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"Suite aux propos ouvertement antisémites tenus par l’humoriste Dieudonné visant notre confrère Patrick Cohen, diffusés jeudi 19 décembre dans le cadre d’un reportage de l’émission Complément d’enquête sur France 2, la direction de Radio France a décidé de signaler ces faits à la justice. Le procureur de la République jugera s’il ouvre ou non des poursuites judiciaires à l’encontre de Dieudonné." France Inter

Je n’avais pas spécialement goûté la sortie de Patrick Cohen sur les « cerveaux malades », pourtant j'ai ressenti un rare moment de malaise en visionnant ce moment du spectacle de Dieudonné, diffusé dans l'émission Complément d'enquêtes sur France 2, appelant les pieds sous le bureau à son extermination. Le comédien justifie ainsi les propos du journaliste six mois plus tôt. 

On me dira : "tu comprends pas, c’est de l’humour". "C’est un bras d’honneur au "système"". "Ça secoue". "Desproges faisait pareil". 

Sûr que ça change de l’humour sur les couches culottes, la drague en boîte et le café en capsules constituant désormais 99% de l’humour national. Est-ce pour autant drôle ? Non, c’est à chier. 

Ne pas voir de quoi il en retourne précisément est, au choix, 1 / de la complicité 2 / de la crétinerie 3 / les 2. Je ne vois pas où est "l'honneur" dans l'appel à l'extermination d'individus au nom de leur religion (souvent juste supposée) et, à part l'intelligence et mes cours d'histoire, ça ne secoue pas grand-chose.

Et arrêtons d'insulter Desproges (et de faire parler les morts en général). Desproges jouait sur le fil avec l’érudition de son public, Dieudonné surfe sur la bêtise ambiante en sautant à pieds joints dans la boue. Le problème de l'humour de Dieudonné n'est pas tant de quoi il traite, mais ce vers quoi il tend. Desproges faisait rire, Dieudonné fait du fric et ce dernier point a chez lui, toujours, précédé le premier. Si être antisémite rapporte, il sera antisémite. Bien que chez lui, on ne saisisse plus très bien ce qui répond de la conviction ou de l’intérêt. 

Je n’accablerai pas non plus Dieudonné. Faute de dialogue initial (épisode du sketch chez Fogiel), on l’a, comme d’autres, passablement rendu timbré. Ça n’excuse en rien ses propos, mais explique une partie de la spirale dont il est désormais l'heureux prisonnier. Il semble aujourd’hui trop tard (et pas assez rentable pour lui) pour faire machine arrière. 

Le plus inquiétant n'est pas Dieudonné, mais ceux s'esclaffant goguenards de son antisémitisme (de façade ou pas) ou le relativisant dans un gloubiboulga mental où tout se vaut, où l'individu se trouve réduit à sa religion prétendue, où tout, rigoureusement tout, trouve son origine dans le grand complot judeo-maçonnique visant à faire taire les esprits "libres" en tête desquels on retrouve Raël, Les Schtroumpfs et Dieudonné.

Alors que faire pour contrer cette vague obscurantiste, branche bâtarde mais néanmoins robuste de l'abrutea-party ? De la pédagogie ? Des actions judiciaires ? 

La désormais célèbre triplette de Quimper : Quenelle + bonnet rouge + Sweat Manif pour Tous.

Si ces actions en justice sont indispensables, elles sont trop isolées et centrées sur un camelot rusé qui s'en sert de vitrine marketing. Que représente une amende de cinq mille euros face à dix Zenith plein à craquer ? Un faible investissement publicitaire.

S'il est un des seuls à tirer un profit financier de la libération de la parole par le bas (dont on peut dater la source à la mise en orbite médiatique d'un certain Sarkozy), Dieudonné est loin d'être le seul en cause.
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Comment condamner Dieudonné et ne pas s’attarder sur les commentaires de ses fans sur Youtube, ailleurs sur Facebook, ou encore les tweets racistes et homophobes, ou même sur les commentaires des lecteurs du Figaro souvent bien plus explicites ? La loi est claire à ce sujet : la manifestation du racisme ou un discours d'incitation à la haine peuvent conduire ses auteurs à un an d'emprisonnement et 45.000 euros d'amende (de "la  grosse quenelle de 45.000" en langage dieudosphère).

Tu trouveras un assortiment sur ce site.

Tant qu'il n'y a pas de véritable offensive juridique sur le vide-ordure de la parole 2.0, s'attaquer seulement à Dieudonné est inutile, voire contre-productif. 

Il faut traiter l'internaute lambda, qui se prend pour un rebelle en lâchant sa haine bien planqué derrière son avatar, comme l'on traite Dieudonné. Ni plus ni moins. Voilà qui changerait probablement la donne et ferait réfléchir à deux fois avant d'appeler à gazer les juifs ( - "au nom de la liberté d’expression t’voua, parce ce qu'on est des purs pas dans le système t'voua. MDR. Zut, je vais rater Danse avec les stars."). 

En plus, ce serait l’occasion de tester la solidarité financière de l'humoriste envers ses disciples : c’est vrai, à bien y regarder, c’est toujours dans l’autre sens que l'argent circule.


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10 décembre 2013

L'usure du net

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" À la longue, l’addiction au web se révélait plus désastreuse que la télévision dont l’indigence des contenus avait au moins eu raison de ma patience. Si la télévision camouflait sa vacuité avec une pyrotechnie assourdissante, LéRézoSocio renouvelait sans cesse la vitrine : ce qui revenait au même. J’avais assisté, connecté et immobile, à la chute de dictatures, à l’anéantissement d’une région par un raz-de-marée en vidéo basse définition, à l’expulsion de familles menottées en roman-photo volé. J’avais rejoué le .GIF de l’adolescent perdant un œil sous le coup d’un flash-ball policier. J’avais vu un Boeing s’écraser en multi caméras avec doublage karaoké, lu des rumeurs en temps réel d’un présidentiable français se faisant arrêter à l’étranger. J’assistais à des décapitations au petit-déjeuner en trempant mon croissant dans la chicorée. Je participais aux cortèges virtuels des indignés par la peine de mort aux USA et m’offusquais en pétition des injures sexistes proférées par des élus de la République. Sur LéRézoSocio, je cassais les programmes radios et les réputations surfaites, accablais les journalistes forcément incompétents, pondais du LOL en me moquant du FAIL tout en faisant grimper les TT. Le temps long devenait caduc. En bloguant, j’avais réduit de moitié ma production littéraire. Depuis que je vagabondais sur LéRézoSocio, je réduisais à son tour de moitié l’écriture sur le blog. LéRézoSocio prolongeait la promotion de Paul Léotard. Chaque instant se vivait comme la possibilité d’un bon mot. Un bon mot se lisait cent fois plus que mon billet de blog le plus lu qui se lisait mille fois plus que mon livre le plus vendu. Je ne rédigeais plus que du piaillement sur l’actualité, c'est-à-dire rien ou pire, sa moitié instantanément publiée sous forme de minimessage ou de statut pour récolter du like et du RT. Pire, les aphorismes se répandaient jusque dans les rédactions. On retrouvait bientôt les citations sur l’écran de télévision, sur ces plateaux télés propulsant la parole internet comme la quintessence à bon marché de l’expression du terrain. Abeille ouvrière dans le mouvement perpétuel de l’information, petit producteur d’oubli moi aussi, je n’avais plus l’impérieuse nécessité d’écrire un récit. Je communiquais court et informatif et, à la longue, me mis à penser ainsi. "

Seb Musset, L'abondance. 
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Disponible ici en papier ou ebook.






P.S : Deux ou trois choses à régler et je reviens.

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