29 mars 2013

Pour un choc de simplification du grand oral

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Je n'espérais rien sur le fond de ce "grand oral" de François Hollande sur France2, mais m'interrogeais sur sa forme.

Sur le fond. Avec un taux de chômage qui explose, le loup soc-lib prend ses aises dans la bergerie : Brèche dans le principe d'universalité des allocations familiales (mais en disant l'inverse), "choc de simplification" pour les entreprises, une fiscalité qu'il a dû mal à assumer, la marginalisation totale de la contribution à 75% (qui ne concernera qu'une poignée d'individus), allongement de la durée de cotisation des retraites et un verbiage visant la bourgeoisie et l'entrepreneur : il semble désormais acquis que l’on ne peut faire autrement, même si je doute de son efficacité à les amadouer, que de s’adresser aux électeurs riches et / ou de droite quand on préside un pays. Et encore, il parait que l'on a échappé un gros passage prévu sur la sécurité. 

Sur la forme. Le contenant est comme souvent plus fort que le contenu. Dans un décor de cathédrale, nous avons assisté à un face à face convenu entre un président et un Pujadas qui plie mais ne rompt pas aux quinquennats. Des réponses relativement courtes, mais trop de sujets (l’émission, prévue pour durer 45mns, termine à près du double, ça commence mal pour le "choc de simplification") et une montée en puissance trop tardive avec un vrai joli passage final par lequel il aurait dû démarrer. Hollande tricote des mots efficaces pour faire patienter devant l’absence prévisible de résultats positifs sur le chômage au bout de 10 mois (perso, je lui donne jusqu’à fin 2014 avant de sortir le bazooka). En attendant que les incantations au retour de la croissance et au plein emploi se concrétisent inévitablement (bah oui quoi çà fait 40 ans que ça foire, ça va bien finir par marcher,non ?), il s’agissait de donner un os à ronger à la société du commentaire, de réaffirmer qui est le patron, tout en tentant de recréer un peu de proximité avec le quotidien des Français. Dernier point qui, malgré les mots-clés et les formules-chocs, est le point faible de cette prestation, encore fallait-il peut-être commencer par "renverser la table" de sa présentation ?  

Bref, on a brodé on attendant demain. Le changement ce n’est ni maintenant ni demain. Il n’y aura pas de changement radical de direction tant qu’il n’y aura pas de bouleversement dans l’appréhension purement technocrate et gestionnaire du pouvoir. Pour le moment, Hollande ne vise pas le grand souffle, mais l'enduranceC'est son cap, il s'y tient.

27 mars 2013

Le jour où Ivan Rioufol a marché sur Paris

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Quelle époque ! Tout fout le camp. Même les réacs'. Avant on les reconnaissait à ce qu'ils te répondaient invariablement "c'était mieux avant" à la moindre question.

Pourtant Ivan Rioufol, journaliste au Figaro qui foulait de son mépris de classe les défilés à répétition des millions de citoyens en colère contre la réforme des retraites en 2010, a changé d'avis.  

Manifester, maintenant c'est le progrès.

Grâce à l'action de la philosophe Frigide Barjot, le déclinologue retrouve optimisme et jeunesse. En témoigne son dernier billet de blog intitulé "vers un prochain mai 2013 ?"il relate son enthousiasmant dimanche de slogans sur le pavé de Neuilly contre le mariage pour tous:

Lis donc :

"Il suffisait pourtant de s’immerger dans la foule, mêlant jeunes et vieux, pour identifier une dynamique qui ne s’arrêtera pas aisément. Il s’en est fallu de peu que les manifestants, pourtant rétifs aux transgressions, ne suivent plus massivement ceux qui voulaient descendre les Champs-Elysées en dépit des interdits." 

Malheureusement, il n'y avait pas assez d'enfants à catapulter sur les forces de l'ordre[1].

Ne cachons pas notre étonnement de lire un Rioufol prônant d'habitude la tolérance zéro,  l'ordre républicain et le chacun chez soi, faire aujourd'hui l'apologie du close-combat urbain à base d'anarchie, de brassage des foules et de boules de pétanque dans la gueule de la police gauchiste.

Extrême relooké qu'il est le Ivan.

Il est loin l'"embrigadement" reproché aux étudiants lorsqu'ils défilaient aux côtés des syndicats contre une réforme scélérate.

Terminée l'époque où il accusait la gauche de "confondre la rue et le peuple" et traitait d'"irresponsable" une Ségolène Royal appelant les jeunes à manifester ou une Martine Aubry évoquant "un affrontement entre le pays et le gouvernement". Wauquiez, Copé, Guaino qui enfreignent la loi pour aller se faire gazer et chouiner, les yeux qui piquent, sur un "pays divisé" au prétexte que leur apéro saucisson-moyen-âge a réuni 300.000 illuminés avec du GUD, de l'homophobe et du salut nazi pour la déco, c'est quand même d'un autre niveau non ? 

Chauffé à blanc, missel, camomille et baïonnette au poing, Ivan le Terrible abuse même de cette mythologie "soixante-huitarde" qu'il conchie avant de surfer sur le printemps arabe parce qu'on n'est plus à un foutage de gueule près :

"Oui, un vent d’insurrection civile s’est levé dimanche. Il est annonciateur d’un probable Printemps français, porté par un peuple attaché à défendre sa culture, ses valeurs, son mode de vie.

Fini ces années sombres où Rioufol dénonçait, "cette opposition, sans projets ni leaders[qui] est à l'image du vide de l'antisarkozysme pavlovien qui connait là son apothéose." Désormais, Ivan est fier qu'"à côté des slogans contre le mariage homosexuel, domin[ent] des mots d'ordre contre François Hollande et sa politique.

Il suffisait de coller l'étiquette "droite" au "manque d'idées neuves" d'une "radicalisation de gauche tournant à vide", pour que les appels à l'indignation de Stéphane Hessel lui parlent enfin. Et on est effectivement soufflé par la pertinence médiévale du propos: 

"A lui seul, ce combat de civilisation insuffle une énergie surprenante, surtout auprès d’une jeune génération qui côtoie pourtant la culture, médiatique et éducative, de l’oubli des racines et du mépris de la religion catholique." 

Tremblez hérétiques et mécréants! L'abrutea-party est en marche vers le palais. Rioufol est son Chateaubriand. 


[1] Et avec la gauche qui veut réduire les allocs, ça fera moins de munitions.

Articles connexes :
- Rioufolike
- Quelle nouvelle droite ?
- L'abrutea-party

Mélenchon contre les médias : la mauvaise méthode

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A un jour d'intervalle, Patrick Cohen recevait sur France Inter, Jean-Luc Mélenchon puis Marine Le Pen. On aurait pu s'attendre à la même pugnacité de la part de l’interviewer par ailleurs très à cheval sur qui il convient d'inviter ou non. Et bien non. 

Là où la matinale du premier s'est consacrée aux deux tiers à un règlement de comptes entre le patron du Parti de Gauche et les journalistes en studio, la présidente du FN a déballé tranquillement ses idées et ses inepties sans éveiller trop d'énervement en face, hormis lorsqu'il a été possible d'établir des similitudes entre elle et lui. 

En comparant les deux interviews, et même s'il en ressort que Patrick Cohen semble moins offusqué par un excès de droite que par plus de gauche, force est de constater que Jean-Luc Mélenchon s'est planté tout seul en s'enfonçant dans sa propre caricature du punisher des méchants médias, là où Marine Le Pen a réussi sa com' en chloroformant la contradiction.  

Mélenchon et les médias, c'est une vieille histoire que l'on pourrait résumer ainsi : faut que je clashe pour que j'accroche. Depuis le temps, il devrait comprendre qu'on ne peut pas engager un combat contre les médias sur leur terrain et espérer le gagner. C'est impossible. Le journaliste est particulièrement offensif... sur la défense de l'idée qu'il veut vendre de son métier. De plus, il est chez lui. Il est là avant, il est encore là après[1], C'est son environnement et, d'une phrase ou d'un sarcasme, il y fait la pluie et le beau temps.  

Certes, Jean-Luc Mélenchon avait légitiment la rage ce mardi matin après avoir été traité tout un week-end d'antisémite ...par des journalistes sur la base d'un propos déformé ...par un journaliste. La question du barnum médiatique qui fabrique la pensée lui tient également à coeur. Mais, au lieu de s'en servir, il se laisse emporter dans un match de boxe avec la profession qui n'attend que ça de lui pour la gloire du show. La méthode est redondante, occupe un temps d'antenne conséquent, n'élève en rien le débat et finit par être contre-productive en ce qu'elle rajoute une impression de haine qui discrédite le reste de son indignation (dans le même temps Marine Le Pen à abandonné cette thématique antipresse et s'est calmée sur le débit des mots). 

De l'autre côté du poste, l'auditeur et le spectateur sont bien moins naïfs que Mélenchon ne le croit.  Le spectateur attend du journaliste qu'il soit aiguisé et de l'interviewé qu'il ruse et déjoue les pièges pour avancer ses idées sans violence et si possible avec le sourire (je sais c'est gnangnan, mais c'est vu, revu et scientifiquement prouvé). De plus, qu'on l'aime ou pas, l'interviewer est l'interface de l'auditeur non-militant, son point d'identification, conscient ou non. Tu es verbalement violent contre un journaliste ? Tu es quelque part violent contre celui qui t'écoute.

Et voilà comment Marine Le Pen arrive à rassurer en disant des conneries, mais en les disant bien, et Jean-Luc Mélenchon met tout le monde à cran dès le matin... à commencer par ceux qui ont ou auraient tout pour être d'accord avec lui.

[1] Intéressant d'écouter les minutes suivant l'intervention de Melenchon et le passage d'antenne entre Patrick Cohen et Pascale Clark.

23 mars 2013

Comment bloguer au gouvernement ?

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L’usure de l’émotion et la routine du compromis tuent à petit feu la passion. 

Voilà comment quelques amis blogueurs de gauche, plumes pourtant les plus affûtées, acharnées et régulières du web politique, en arrivent à défendre un ministre du budget pris dans la tourmente d’une enquête qui sent pas bon, à critiquer un journal d’investigation qu’il y a 3 ans ils encensaient pour ses enquêtes ciblant le camp d'en face ou à justifier l’austérité parce que tu comprends la critique est facile, mais la gestion c'est compliqué.

Comme l'écrivait Spiderman dans son journal intime, avec l'audience vient la responsabilité. Continuer à se comporter comme un militant quand bien même certains actes et décisions vont à l’inverse de ce que l’on défendait lors de la campagne présidentielle finit par vous exposer au ridicule. Un ridicule amplifié ce matin-là sur les ondes d’Europe 1 où Guy Birenbaum reprenait dans sa chronique les perles enfilées contre Mediapart par quelques "blogueurs de gouvernement". Une blague qui a fini par être prise au premier degré tant elle n'avait plus l'air d'une blague. 

J'ai fait des remarques, celles que vous avez lues mais en plus violentes, qui ont attristé des amis blogueurs politiques. Je leur écris et je me l'écris aussi: ne soyons pas tristes, soyons énervés. Si l’on perd cette colère face à la corruption d’où qu’elle vienne ou à l’injustice sociale, si l’on n’a plus l'ardeur à défendre ses convictions et que l’on se satisfait d'un pouvoir du moindre mal, alors oui, il vaut mieux arrêter et partir sur une victoire tant que c'en est une.

Ironie. Au moment où nous nous engueulions entre blogueurs, Sarkozy était mis en examen pour abus de faiblesse dans l’affaire Bettencourt, sur la base de l'enquête de Mediapart. Même si je ne me fais guère d’illusion sur la suite, l’évènement dégomme le comeback prématuré de l’homme providentiel, saison 2017. Il nous gratifie au passage, après la bataille de la COCOE, d'une deuxième session de grotesque en quatre mois pour une UMP à la tête coupée[1].

Voyons-y la conclusion symbolique d'une époque de dénonciation et de pilonnage à laquelle nos blogs ont, car ce n'était pas rien, contribué. Faut-il que je rappelle ici quelle était la tonalité du paysage médiatique entre 2007 et 2010[2] quand, par exemple, nous étions quasiment les seuls à relayer ou écrire sur les articles de Mediapart à propos du Karachigate ?

Je me rappelle d’une chaîne qu’avait lancée Sarkofrance il y a quelques années au sujet de l’avenir de nos blogs après 2012. J’y répondais qu'il faudrait d’abord "que la gauche accède au pouvoir" et que "cette alternance ne soit pas le clone chloroformant de la clownerie réformatrice du moment". 

Tu vois, je n’avais aucune raison de m’inquiéter pour le futur des blogueurs politiques.

Ceux-ci remettront sans cesse leur ouvrage sur le métier. 


[1] Ce camp n'a toujours pas fait le deuil du pouvoir, n'a pas fait non plus le bilan du sarkozysme, et persiste dans un délire décomplexé où le racisme de classe, la certitude d'avoir le droit d'être au-dessus des lois, le dispute au complotisme et à la haine aveugle de tout ce qui est soupçonnable d'être de gauche. 
[2] Celle du pouvoir en place, as usual.

21 mars 2013

Allocations piège à cons

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Le clou de la restriction budgétaire frappé au marteau du "bon sens" offre le meilleur angle de tir pour dézinguer des acquis décrochés de longue lutte sous les applaudissements de ceux qui vont en payer la facture.

Nous apprenons dans un récent sondage Ifop du JDD que "deux Français sur trois" seraient favorables à l'idée de réduire ou de supprimer les allocations familiales au-delà d'un certain niveau de revenu. Ça tombe bien: on nous répète inlassablement qu'il faut économiser des milliards de partout. 

Et là tu me dis "- Supprimer les allocs pour les plus hauts revenus, quelle bonne idée !". 

A priori oui. Sauf que non. Derrière l'apparente justice, piétinant au passage le principe d'universalité, se cache la plus libérale des logiques.

Admettons que l'on supprime les allocations aux plus hauts revenus. Donc ça leur fait une belle jambe. Leurs mômes continuent à aller dans les meilleures écoles, à partir en vacances dans les plus beaux endroits, n'ont aucun problème de garde.

En revanche, est ainsi crée un paysage de l'allocation familiale divisé entre riches et pauvres. Les "pauvres" deviennent une catégorie d'état encore plus identifiable, puisque dissociée. Ce point est primordial, il conditionne la suite tant au niveau comptable qu'au niveau symbolique. L'intérêt budgétaire n'est pas tant de supprimer les allocations aux plus riches que de taper dans le gros de la caisse: les 90% en dessous que chacun tend à appeler classes moyennes, mais que dans un souci de cohésion je nomme peuple.

Avec un seuil de ressources pour toucher des allocations familiales se pose le problème de l'endroit où fixer le curseur (le sondage ne dit rien à ce sujet). Une fois celui-ci décidé, disons 3500 euros par mois pour un couple, il est suivi dans la minute des aigreurs de ceux justes au-dessus de la zone plancher. Et un an après la réforme, Ifop te ressort le même sondage des "deux Français sur trois", selon ce bon vieux travers de l'époque voulant que, au lieu de défendre la gamelle commune chacun trouve qu'il y en a trop dans celle du voisin. Le principe d'universalité ayant été défoncé une première fois, il devient encore plus simple pour le gouvernement, celui-ci ou un autre ("non-responsable du bilan désastreux") à chaque nouvel impératif budgétaire (et il nous en tombe trois par semaines) de baisser, palier après palier, le seuil de ressources pour bénéficier des allocations. 

Ainsi, les allocations sont progressivement réservées aux très pauvres avec le flicage et la stigmatisation qui va avec (tandis que les riches, allocs ou pas, sont toujours peinards). Puis au bout de quelques années d’affaissement du seuil, un "réformateur pragmatique" arrive et conclut, toujours plein de "bon sens", que puisqu'elles ne concernent que les très, très, très  pauvres, les allocations familiales ne sont qu'"une trappe à pauvreté". Elles sont donc "inutiles et contre-productives" et il faut les supprimer. Même que "deux Français sur trois" sont OK. Circulez y a plus rien à voir.

Tu peux appliquer cette méthode (sensiblement la même que celle à l'oeuvre depuis des décennies dans les pays d'inclinaisons libérales) dans l'enseignement public, la santé ou les retraites. Toujours selon le même principe:
- Marteler l'impératif budgétaire sur les ondes (avec argument massue: les autres pays l'ont fait), 
- En appeler au bon sens populaire (en ratiboisant toute autre analyse), 
- Surfer sur le flux sans fin des rancoeurs individuelles,
- Faire des conséquences de la réforme d'un acquis social la cause de son dysfonctionnement et ainsi justifier son éradication ou son basculement définitif dans le secteur marchand.  

Il y a une chose formidable, mais mal vue, qui s'appelle l’impôt sur le revenu. Que les allocations familiales entrent dans les revenus imposables, OK, mais en ayant un impôt bien plus progressif (cette vraie grande réforme fiscale dont on a jamais vu la couleur). Les plus riches continueraient de toucher des aides, mais celles-ci seraient ponctionnées en retour pour ce qu'elles sont pour eux: un revenu supplémentaire et non indispensable. 

Allez. Soyons positifs. Comptons sur le gouvernement pour nous annoncer un truc bien, absolument pas truffé d'effets indésirables.

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19 mars 2013

Chypre, l'autre pays du ratage

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Le buzz aura péniblement décollé ('scusez c'est le week-end, y a foot et foot), mais voilà, lundi matin la Troïka a redouté "la panique des marchés" et éventuellement craint la réaction de ces choses étranges appelées "gens", capables de regarder quatre heures de suite la télé et une fois tous les trois siècles de couper les têtes d'une aristocratie qui a quand même un peu trop abusé. Chypre pourrait (hypothèse à l'heure où j'écris) faire marche arrière sur sa taxe des comptes courants pour finalement exempter ceux sous la barre des 100.000 euros.

Tirons déjà 3 leçons de cette montagne russe du feuilleton de l'économie: 

1. Comment faire d'une bonne idée un fiasco (ou la 7e compagnie fait de l'économie)
Annoncer dès le départ que l'on ne taperait que les gros poissons étrangers en exemptant les petits comptes, nul doute que les peuples d'Europe auraient applaudis et que la Troïka aurait pour une fois prouvé qu'elle pouvait agir vite et radicalement dans le bon sens. Chypre a dit non, précisément par peur de faire fuir les placements étrangers. Bref, c'est définitivement ratéPiétiner la souveraineté d'un pays qui lui-même s’essuie les pieds sur le parlement, et penser que tout le monde n'y verra que du feu, avant de faire marche arrière par peur d'un bankrun européen, c'est, au minimum, prendre les locaux pour des abrutis et les Européens pour des crétins. La confiance envers les institutions européennes passe donc de 0 à -20 en une journée. Du travail de pro. Qu'on ne vienne pas s'étonner de la montée de la colère citoyenne et de résultats électoraux qui décoiffent. Sans compter que le plan, en partie financé, n'évitera pas une phase d'austérité pour les Chypriotes. Le meilleur des festivités reste donc à venir.

2 .Pourquoi Chypre est dans la zone euro ?
"Chypre, n'est pas un pays comme un autre" disait hier Bernard Cazeneuve, ministre délégué aux Affaires étrangères, dans l'émission Mots croisés (devant un Florian Philippot du FN qui jouait sur du velours).
C'est bien le moment de s'en rendre compte au bout de 10 ans. Si le fric c'est Chypre et que l’île se résume à centre financier pour argent sale russe avec comptes rémunérés à hauteur de 6X le PIB et en face un taux d'imposition sur les sociétés les plus bas d'Europe (on aurait peut-être pu commencer par augmenter ça ?), pourquoi avoir intégré ce baril de dynamite dans la zone euro? 

Voilà qui repose, mais trop tard vu qu'on est 27, le débat sur l'harmonisation sociale et fiscale au sein de l'UE qui ne devrait pas être un but mais un préalable à toute entrée d'un nouveau pays dans la zone.  

3. Le "tabou" est "tombé"
Retenez bien l'expression, on va l'entendre partout. C'est la tournure "moderne" qui précède les régressions (et au passage évite de parler de l'imposition sur les grandes fortunes). On va même rajouter que la mesure est "morale", que c'est une "avancée sans précédent". La ponction sur compte personnel, antidémocratique et contre la logique même des textes votés par Bruxelles, fait son apparition dans un mélange paradoxal d'anticipation de panique par les marchés et de léthargie des peuples. Ce message s'accorde à merveille à l'autre répété en boucle sur tous les écrans par les ministres et les experts économiques dans chaque pays durant ces trois jours de folie: "il n y a aucun risque de contagion. Cela ne peut pas arriver ici."


Pour finir sur une note optimiste nous rassurant définitivement sur le professionnalisme et le sérieux de tout ceci, les banques chypriotes passaient un stress test positif sous le contrôle de la BCE en juillet 2011.[1]

[1] merci Politeeks pour l'info

[update 20.03.2013, 9h15 : C'est une première dans l'histoire de ce blog. Même si cela ne change pas grand-chose au fond, cet article est doublement périmé en moins de 24h. 1 / Le parlement chypriote rejette la taxe sur les dépôts dans la soirée du 19 et le pays va vraisemblablement s'orienter vers un plan d'austérité.  2 / Suite à la démission de Jerome Cahuzac dans l'affaire UBS, Bernard Cazeneuve (cité plus haut) change de ministère au même moment et passe au budget.]

17 mars 2013

Braquage à l'européenne

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C'est la nouvelle économique du mois. Mais bon, ici on préfère parler nomination de VRP divin et cataclysme météorologique (10 cm de neige en hiver). Sous la pression des bailleurs, l'Union Européenne a pondu un accord express avec le gouvernement de Chypre pour un plan de sauvetage de 10 milliards d'euros, avec à la clé une recapitalisation bancaire financée en grande partie par l'argent des déposants: une taxe de 6.75 % sur TOUS les comptes bancaires, 9.9% au-delà de 100.000 euros en dépôt 

Oui. La troïka innove et lance le bankrun inversé. Et la chose se met en place le week-end, au plus vite, avant l'ouverture des banques le lundi matin. Elle est pas belle la vie en Europe ?  

Certes, plus la moitié des comptes sur l'île sont des dépôts étrangers, et on ne pleurera pas à grosses larmes sur cette ponction sur l'argent de poche des CSP+ internationaux, sur les placements optimisés des gras rentiers anglais ou dans la tire-lire de convenance de la jet-set moscovite. A n'en point douter, ceux-là sauront faire face au désagrément. 

En revanche, le retraité chypriote n'ayant que 30 euros sur son compte pour finir le mois, se réveillera lundi matin avec une cagnotte allégée de près de 2 euros, au prétexte qu'il est coupable d'habiter dans un "paradis fiscal"[1]. Il est plus simple de taper sur une clientèle captive que de chasser les exonérations ou de traquer les fraudes fiscales. Qu'il est simple et agréable de cambrioler son propre établissement en local avec la bénédiction des plus hautes instances.

Les pays de la zone euro garantissent en théorie, les comptes des particuliers à hauteur de 100.000 euros en cas d'effondrement du système bancaire (directive européenne de 2008). C'est aujourd'hui ce même système qui, à Chypre, est "sauvé" en catastrophe et en catimini sur 48 heures, en volant dans les comptes des citoyens le pognon que l'UE est sensée leur garantir. 

Ce braquage à l'européenne est un signal d'alerte pour tous les particuliers possesseurs d'un compte bancaire dans la zone euro. C'est aussi la preuve supplémentaire que l'UE, non seulement ne perd jamais une occasion de jouer contre les citoyens qu'elle était supposée protéger, mais que, de surcroît, elle ne répond économiquement de rien. 

[1] Précisons lexicale qui a son importance: pour celui qui a de l'argent et un bon réseau d'influence, tout pays, même la France, peut être un "paradis fiscal". 

Articles connexes : 
- Bankster à la petite semaine
- Crimes et délits du banquier
- La ballade des banquiers heureux

14 mars 2013

Rencontre avec Arnaud Montebourg : Stop au french bashing !

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Sa mission au gouvernement: Relocaliser les emplois en France en favorisant la synergie des compétences et des capitaux, tout en jouant sa partition, avec des moyens limités, entre la machine à dire "non", Jérôme Cahuzac et Pierre mon nom est réduire la dette Moscovici.

Après le désaveu dans la reprise du site de Florange, le cadeau aux entreprises (aussi express que flou) du CICE dans la foulée de la remise du rapport Gallois et l'accord Renault mettant le pied dans la porte de la flexibilité et du gel des salaires sous le poids du chantage à l'emploison action comme son image se troublent. Retour à Bercy, 4 mois après l'entretien avec Moscovicipour une discussion avec Arnaud Montebourg, ministre du Redressement productif.

20h. Il arrive comme une flèche. Il laisse les fauteuils à la dizaine de twittos et blogueurs, prend une chaise. L'entretien dure 45 minutes. Tandis que Montebourg dévore son assiette de nems, nous passons d'un sujet à l'autre sans trop de ligne, sur un ton décontracté.

Les principaux thèmes abordés:

1 / La relocalisation industrielle et le rôle de l'Etat,:
A l'écouter, la "bataille pour relocaliser" s'articule en deux axes. La communication internationale sur les atouts français et l'implication (financière ou pas) de l'état sur le terrain.  

Sur l'international, il positive: "Le monde entier nous admire et nous adore [...] La presse étrangère s’intéresse à cette campagne mondiale "Say Oui to France"[1]. La France est la première destination pour les projets industriels en Europe, le deuxième marché européen, la première destination innovante en Europe.[chiffres d'une récente étude KPMG]"

Il tance le "french bashing" émanant parfois des élites françaises et d'une partie de la presse économique.

"- Heureusement que les investisseurs étrangers ne lisent pas le Financial Times pour faire leurs calculs économiques. [...] La France est un des pays les plus attractifs quand on consolide sur le prix du foncier, sur l'énergie, sur le prix du travail, la productivité..."

Sur le local, Montebourg cite en exemple l'accord Renault"Grace à cet accord, dans lequel nous sommes intervenus des deux cotés. Renault prend l'engagement de relocaliser la fabrication de 200.000 voitures en plus [sur les 500.000 déjà produites]. C'est à dire l'équivalent de l'usine Toyota de Valenciennes".  Le discours sur le protectionnisme d'il y a 18 mois laisse donc place à un vocabulaire de l'offensive  sur un mode enthousiasme qu'il espère communicatif. Il nous donne les exemples des réussites d'Atoll ou de Smoby (qui datent d'avant son arrivée) qui ont misé avec succès sur le rapatriement de leur production en France.


(le film promotionnel de Invest in France, diffusé à l'étranger)

Malgré les chiffres de l'INSEE, la dynamique irait donc dans le bon sens, ou du moins va y aller. Il table sur l'adhésion des consommateurs de plus en plus soucieux de la provenance des produits, incitant à leur tour les producteurs à rapatrier tout ou partie de la fabrication et sur la conjonction des prix énergétiques, du travail et des infrastructures qui conduit et conduira de plus en plus les producteurs à relocaliser.

"- Quand on vous dit qu'il n'y a pas de capital-risque en France, et qu'il faut regarder aux Etats-unis. Oui, on regarde. Et bien, à part la Californie [8e état du monde en taille], tous les états du monde financent le capital-risque" [...] Nous avons utilisé le grand emprunt pour financer le progrès technologique de Peugeot dans le cadre des orientations technologiques de la filière industrielle automobile, c'est-à-dire le véhicule à 2 litres. [...] Il nous intéresse d’être présents (via la CDC ou la BPI)[2] dans de nombreuses entreprises pour financer, guider et recevoir.

Dans le cas des brevets développés par PSA, une partie, à la hauteur de son engagement financier, reviendra à l’Etat.

2 / Le CICE, crédit d’impôt pour la compétitivité et l'emploi:
S'il déborde d'énergie sur la promotion du Made-in-France, sur le CICE, le ministre du Redressement productif est moins convaincant. Il se félicite que les partenaires sociaux puissent débattre de l'usage des 20 milliards d'aide (que ça aille à l'investissement, à la R&D, ou au retard dans le paiement des salaires...) mais est "curieux" de savoir ce que va en faire la grande distribution. Étonnant dans la mesure où ces mêmes entreprises bénéficient déjà d'une fiscalité conciliante, et que les plus grosses d'entre elles, grâce à l'optimisation, payent proportionnellement bien moins d’impôt que la PME du coin, alors qu'elles abusent des contrats à temps partiel. Montebourg renvoie son jugement aux premières évaluations de l'usage du CICE... dans un an. Il reprend donc la dimension du "pari (à 20 milliards financé par une hausse de la TVA)" annoncé par Moscovici dans la même salle quatre mois plus tôt

3 / Zone euro et crise:
Comme ce n'est pas son champ d'action, Montebourg y va plus frontalement sur le sujet et souligne l'impasse des politiques d'ajustement budgétaires, donc celle du gouvernement auquel il appartient (même si cette année, les critères du 3% sont assouplis). "La politique d'ajustement budgétaire ne peut pas étouffer la croissance. Parce que nous mourrons guéris. C'est d'ailleurs ce que les Italiens ont dit." Lance-t-il en référence à la paralysie gouvernementale suite au 25% de Beppe Grillo aux dernières élections.

Puis, il s'énerve contre la BCE qui a prêté à 0% 1000 milliards aux banques, qui en ont prêté à leur tour la moitié à 3 ou 4% aux états. Politeeks lui demande "comment faire en sorte que la BCE change de fonctionnement ?

"- Et bien en leur parlent à l’Eurogroupe. [...] quand les Européens en auront assez de manger les pissenlits par la racine peut-être qu'ils diront à la BCE de se réveiller. [...] Dans les statuts de la BCE, l’Eurogroupe est chargé de s’intéresser à la croissance et aux taux de change, à la monétisation de la dette." Bref, face aux incertitudes démocratiques, le salut viendrait d'une grande prise de conscience générale de ceux-là mêmes ayant guidé les politiques financières qui ont conduit jusqu'ici. A vous de juger.

4 / La fin de la filière automobile ? 
Suit un long moment sur le diesel (je pense que Politeeks reviendra dessus), son interdiction ou pas à 10 ans, et l'inévitable "écologisation" de l'industrie automobile comme de toutes les autres industries. Il nous affirme, malgré le souhait de la moitié des blogueurs présents, que la disparition de la voiture n'est pas pour demain. En revanche, les niveaux des matières premières devraient pousser les clients à changer progressivement de modèle pour se diriger vers les véhicules électriques et les hybrides dont les ventes ont bondi de 245% ces deux derniers mois (50% fabriquées sur le sol français). C'est à l'état d'accompagner les industries dans cette transition.

20h45. Il repart aussi vite qu'il est arrivé (l'incarnation du mouvement fait-elle partie du discours ?). Pas évident de tirer des conclusions d'une rencontre comme celle-ci dont la bonhomie et l'enthousiasme tranchent avec la dureté d'un contexte social et la peine de millions de travailleurs et de chômeurs. Montebourg est structuré quant à sa mission et a bien conscience des limites de son poste. On a bien envie d'y croire autant que lui en l'écoutant, mais générer de la conviction est une part essentielle de sa fonction. Job oblige, il s'est également considérablement ouvert au discours des patrons. Mais, comme il le dit lui-même : "Si nous sommes divisés, nous y arriverons jamais. Dans la guerre économique mondiale, nous ne partons pas divisés".

Reste une question que je ne lui ai pas posée: Comment se positionne-t-il face aux inclinaisons de plus en plus ouvertement libérales de son gouvernement, et combien de temps va-t-il tenir sans résultat positif sur le chômage ?


[2] La CDC est présente dans 2200 entreprises. La BPI est à ce jour présente dans 71 entreprises. 

Illustration: S.Musset

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13 mars 2013

L'abominable info des neiges

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C'est un évènement sans précédent, qualifié d'historique par nos climatologues. Il neige en hiver sur le nord de la France. Oui, je sais c'est brutal. Quelques flocons sur la capitale et, ploc, le pays se bloque. Par miracle, nos chaines de télévision émettent encore, à deux doigts d'organiser une distribution de tickets de pain dans un pays occupé.

Sur les écrans de l’info-spectacle continue, la nation est en proie depuis 24 heures aux assauts répétés de l'envahisseur glacé. Des "naufragés de la route [sont] pris au piège dans leur voiture" tandis qu'une "cellule de crise" est composée par le gouvernement, avec descriptif topographique de cet état-major de l'urgence. Un pool de journalistes se rend au sous-sol de Beauvau pour capturer les images des visages serrés et inquiets assis autour de la table ronde de la war room anti bonhomme de neige, avec écrans samsung partout.  Il ne manque que le compte à rebours en incrustation, pour recréer l'ambiance de la série 24 heures. Oui, nous délivrerons nos otages de leurs Clio, ou du moins faisons-le croire. Car ce n'est pas avec les coupes budgétaires dans les services que l'on améliorera la rapidité d'intervention sur le terrain. Ah bon, on ne vous en parle pas ? Et non, priorité au direct et à la suggestion du mouvement. Couper court à la réflexion pour occuper le terrain de l'émotion en courant sans relâche après l'immédiat.

C'est vrai qu'un évènement de cette magnitude flirte avec l'inédit. Nous n’avions pas vu ça depuis au moins... le 7 décembre 2010. Malgré 48 heures d'annonces préalables par Météo France, Paris et sa région sont alors paralysés par un impitoyable épisode neigeux. Les informations débordent alors de portraits de salariés apeurés, pris par les glaces et se ruant vers les hôtels pour "ne pas arriver en retard le lendemain au boulot".

Mais la neige, derrière l’intolérable perte de la liberté d’aller travailler, c’est aussi le drame, le vrai. "Un SDF retrouvé mort à Saint-Brieuc : victime probable du froid" peut-on lire et entendre ça et là, via un copier-coller de vacances d'une dépêche AFP. 'culée de neige. Derrière ton manteau blanc qui illumine le regard des enfants, tu ne caches que crime et inhumanité. Qu’il fasse trop froid ou trop chaud (il y a plus de morts dans nos rues l’été que l’hiver), en 2013 dans un pays riche comme La France, ce n’est pas le thermomètre qui tue, mais bien la pauvreté, donc le manque de redistribution du pognon. Mais là aussi, pas le temps de titrer intelligent. Place au grand blanc.

La neige en hiver, c'est la tempête parfaite. Un scénario maîtrisé au service d'un grand show éphémère qui fascine et ne coûte pas cher, la garantie d'un large temps d'antenne occupée sans trop se fatiguer. 

Lors des tempêtes parfaites, le souci de l'info-spectacle à chercher un coupable à la météo, avec compassion pour les "victimes" et sommations de riposte gouvernementale sur le mauvais temps, est inversement proportionnel à sa volonté de traquer les vrais responsables des crises économiques que nos peuples traversent, de s'apitoyer sur le sort de leurs victimes (pourtant parfois les mêmes que ceux bloqués dans les voitures), ou à sa pugnacité à exiger des réprimandes envers les exilés fiscaux, rentiers ou autres grands patrons payés deux SMIC à la seconde.

Et vous n'avez encore rien vu, l'été sera show.


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11 mars 2013

Laurence Parisot et la sécurité de l'emploi

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Sachez-le. Pour la prochaine élection interne du MEDEF, Laurence Parisot a mon soutien

La patronne des patrons, en campagne pour sa re-succession, était l’invitée du 12/13 dimanche 10 mars sur France 3C'est une bonne occasion de s’informer à la source des inclinaisons gouvernementales pour les semaines à venir. C'est aussi l'opportunité de savourer les dernières sophistications ouatées de la rhétorique patronale hardcore où l'art de l'esquive des réalités sociales de 99% de la population se mêle au souci de ramener, à base de bon sens et sans douleur immédiate, l'exploité dans le camp idéologique de ceux qui l'exploitent. 

Entrée aux petits-fours, avec pop de bouchon de champagne, sur la mort du "dictateur" Chavez qui "incarne le populisme dans toute son horreur"

L.Parisot dévie d'entrée une question sur l'ANI (accord national interprofessionnel) en omettant de préciser l’avancée énorme qu'il constitue pour le patronat (ayant désormais open-bar pour baisser les salaires, forcer à la mobilité les travailleurs tout en réduisant leurs possibilités de recours en cas de licenciement), et se plaint que l'accord (signé par la majorité des syndicats minoritaires) doive encore passer au crible des députes ! Étrange conception d'une démocratie dont la patronne du Medef se réjouit pour le Venezuela, mais qu'elle souhaite qu'on court-circuite ici. 

Ca se poursuit tranquille, en mode TINA, au sujet de la réduction de la courbe du chômage promise par François Hollande avant la fin de l'année.

" - C’est peut-être possible à une condition: que le gouvernement adopte une politique économique pro-entreprise. Il n’y a pas d’autre voie possible.

Puis L.Parisot se lance dans une condamnation des politiques économiques et fiscales, à l'évidence communiste, des dernières années qui "pénalisent l’investissement, qui empêchent la prise de risque entrepreneurial" en pointant la "gravissime affaire" de la fiscalité sur les plus-values de cessions d’actions. Notons le lien naturel une fois de plus opéré entre entrepreneur et revente des actions de l'entreprise, cette dernière étant considérée sous l’angle de la pure spéculation à prise rapide de bénéfices.  

Rappelons encore et encore que la part des salaires dans la valeur ajoutée des entreprises à diminué de 10 points en 30 ans passant de 67% à 57%. Le tout dans un contexte fiscal bénéficiant aux entreprises, notamment les grandes qui ont a leur disposition une batterie de spécialistes de l’optimisation. Les entreprises du CAC 40, malgré la criseTM[1] ont encore emmagasiné 53 milliards de bénéfice en 2012. 53 milliards ! Pour l'investissement, c'est comme pour la hausse des salaires: j'attends encore.

Alors qu’on lui demande de se prononcer sur l'interdiction des parachutes dorés, récemment votée par référendum en Suisse et l’éventualité d'une limitation des gros salaires, la boss du Medef qui a le "populisme" en horreur, et selon le désormais rodé axiome de Gad Elmaleh récemment remis au goût du jour par Gérard Depardieu, ne s'encombre pas de principes pour procéder à l'analogie entre les patrons du CAC (dont le salaire moyen a augmenté de 4 millions l'an passé) et les salariés (la moitié d'entre eux touchent moins de 1673 euros) en passant par la case artiste populaire.

" - Et pourquoi pas sur les artistes de cinéma ? Pourquoi pas sur les sportifs ? Pourquoi pas  fixer par la loi le salaire de tout le monde !" S'énerve-t-elle. C'est vrai quel scandale cette idée d'une loi pour limiter les revenus des patrons au moment extatique où l'on va imposer aux salariés de baisser les leurs !

Questionnée sur le cadeau fiscal de l'automne dernier, le crédit d’impôt pour la compétitivité des entreprises (20 milliards d’aide supplémentaire aux entreprises financées par une augmentation de la TVA), elle le juge d’emblée "non suffisant" avant de basculer en mode Ifrap sur "la dépense publique en France qui étouffe la création de richesses […] et empêche la création d’emplois"  On pourrait lui avancer que cette dépense publique, face à la stagnation des salaires et à leur diminution souhaitée est le dernier rempart contre la chute massive de la consommation interne. Ce n’est pas fait. On en reste à son affirmatif "si l’on ne réduit pas la dépense publique, nous ne réduirons pas la courbe du chômage". Ce qui se vérifie chaque jour dans tous les pays persévérant dans leurs politiques d'austérité, avec des taux de chômage bientôt au triple du nôtre.

L'interview s'achève sur un "nous sommes en danger sur les retraites (Nous. Pas elle. Il est toujours bon de le rappeler) si nous ne faisons pas une réforme structurelle". Et la machine mise en branle en 2010 se réenclenche sur les mêmes raccourcis: 
- Tu l'as vu mon gros déficit (je renvoie à plus haut: payez moins les actionnaires et plus les salariés, mathématiquement les cotisations augmenteront),
- l'espérance de vie augmente (sans préciser qu'un ouvrier en a bien moins qu'un cadre sup), 
- l'oubli de notre forte natalité (donc plus de cotisants dans 20 ans),
- l'absence totale de l'ébauche de l’hypothèse d'une augmentation des cotisations côté patrons pour s'en tenir à l'allongement de la durée de cotisation et l'augmentation de l'âge du départ à la retraite, ceci dans un seul but: exploser le système de retraites par répartition pour le basculer dans le privé.  

Bon, on pourra toujours discuter (mais avec quelqu'un de sensé) de la viabilité mathématique de l'augmentation de la durée de cotisation alors que chacun entre de plus en plus tard sur le marché de l’emploi pour en sortir de plus en plus tôt (Si le taux de chômage des moins de 25 ans est à 25%, celui des 55-64 grimpe à 40%).

Laurence Parisot, elle, conclut sa ballade de campagne par un vibrant hommage à la jeunesse et à l'esprit d'entreprise, en la personne de Liliane Bettencourt, rentière du 4e âge qui n’a même pas conscience des 6 milliards de plus empochés sans rien faire cette année (91 euros par français, bébés inclus, j'ai calculé) dont une fraction du butin boursier ira alimenter la cagnotte du MEDEF pour ces futurs colloques primesautiers où il nous sera seriné que vraiment nous ne travaillons pas assez et pour trop cher.

Malgré mes désaccords profonds, face à sa verve stratosphérique et pour l'exaspération évidente qu'elle provoque chez tout travailleur, je ne peux qu'encourager Laurence Parisot dans son combat pour s'accrocher à son poste pour un troisième mandat, contre les statuts de son organisation, et ce au moment où elle impose de la flexibilité à tous. 

Go Laurence go !

Illustration: déjà utilisée, je sais. Mais c'est la rigueur.

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6 mars 2013

Cet ANI lointain qui sera bientôt le tien

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Je regrette Sarkozy au moins pour une chose. A travers sa personne, et presque avant sa politique, il avait réussi à faire l’unanimité de la rue contre lui. L’intelligence de Hollande par rapport à son prédécesseur, c’est de ne pas insulter syndicats et travailleurs. Du coup, il peut se permettre d’aller plus profond dans la réforme. Comme en plus il y va plus vite, la douloureuse salariale risque d'être doublement amère. 

Ce mardi, le cortège parisien FO / CGT contre l’ANI (Accord national inter professionnel accepté par la majorité des syndicats minoritaires) a parfois des allures de veillée funèbre. Dans le prolongement du manque d’enthousiasme des porte-voix, aucun slogan n’est repris par la foule. Il faut avouer que ce type de défilés montre ses limites: pas vraiment glamour, pas lisible pour le profane, avec à certains endroits presque plus de caméras et de policiers que de contestataires et le renoncement à aller jusqu'à l'Assemblée (là où les trépanés de Civitas ont osé). On est loin de l'explosion sociale redoutée par certains au gouvernement. Non. Ça passe tout seul.

Les 15.000 marchent en silence, et ce n’est pas une injure de dire que la moyenne d’âge est élevée, 45/50 ans. Au moins eux se mobilisent. En vacances et en milieu de semaine, le Paris de la dèche turbine et Paris la riche transhume à Courchevel, mais quel décalage avec les cortèges contre la réforme des retraites il y a trois ans! Avec la circulation coupée, les boulevards remontés sont plus paisibles qu'en temps normal. Un comble.

A Odéon, je croise une dame du Front de Gauche. Elle alerte des passants, certains amusés, souvent des touristes, d'autres détournant les yeux comme ils le feraient avec des mendiants:

"- Vous feriez bien de vous y intéresser à L’ANI! Ça vous concerne! Ce sera trop tard après!"

Elle a raison. Si l’on doit citer une seule catastrophe dans ce projet de loi made-in-MEDEF, c’est son arnaque fondamentale enrobée de "sécurité": Quand une entreprise est en difficulté, elle pourra s’autoriser à baisser ton salaire ou augmenter le temps de travail durant 2 ans. Si tu refuses, c’est la porte. Le travailleur réduit à l'état de candidat de télé-réalité, le droit du travail circonscrit à la seule dialectique patronale. Un gros progrès de neuf mois de gauche que même la droite n’avait pas réussi à passer en dix ans de pouvoir. Une entreprise "en difficulté"? Laquelle ne l'est pas? Dès qu'un patron a une tribune dans ce pays, c'est 9 fois sur 10 pour chialer au martyr. Ce salaire à prix cassé autorisé, c’est la porte ouverte aux abus pour une création d’une nouvelle génération d'emplois low-cost. L'important étant de progressivement faire entrer dans ta tête qu'il ne peut plus y avoir de salaire minimum garanti. 30 ans que l’on baisse la fiscalité des entreprises, que l'on est à leur chevet (les grosses, certes) au nom du retour à l’emploi et pour quel résultat? Ce pays explose ses records du chômage et les profits des actionnaires sont toujours plus élevés


Une fois adoptée, compte sur le patronat pour t’affirmer que, bien que nécessaire, la fléxi-sécurité est malheureusement arrivée "trop tard pour pleinement pouvoir produire des effets positifs" et que donc, pour la sauvegarder à son tour (parce que quand même payer moins cher ses salariés c'est cool), il faudra la réformer: comprendre aller encore plus loin dans le démantèlement des droits des travailleurs.

Et, avant même le vote de loi, l'explication de la prochaine "avancée" commence. Je l’entendais encore hier soir sur un plateau d’experts autorisés à te livrer la notice vaselinée de l'escroquerie sociale dont tu paieras la facture, "non, on n’a pas encore tout essayé contre le chômage".

Exact. Il reste encore le travail gratuit. Et si cela ne suffit pas à contenter les actionnaires, on le rendra payant. Si le salarié doit constamment donner des gages de bonne volonté, le citoyen, lui, s'apprécie résigné.

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4 mars 2013

Un 8 mars toute l'année ?

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Même s’il y a une dynamique positive par chez nous, le combat pour l’égalité homme / femme est loin, très loin d’être atteint.  Toute action visant à éveiller les consciences sur le sexisme et visant les progrès de l’égalité homme / femme est donc à encourager.

C’est en gros ce que je réponds vendredi soir dernier à Gaëlle-Marie aka La Peste, un poil énervée à l'issue du Power Point de présentation du calendrier de l’égalité par Najat Vallaud-Belkacem, Ministre des droits des femmes.

Étaient réunis une trentaine de blogueurs(-ses), twittos et militants(-tes) pour l'annonce du lancement du site internet 8marstoutelannee.fr (le 7 mars prochain). En résumé: Entreprises, associations, personnes physiques pourront inscrire initiatives et évènements pour qu’il n’y ait "pas un seul jour dans l’année sans faire progresser l’égalité homme / femme". Cette plateforme (où l'on s'étonne de retrouver associée une grande marque de la distribution abusant, avec aides publiques, des temps partiels imposés en priorité aux femmes) s’inscrit dans l'ambition gouvernementale d’étendre l'édition 2013 de la "journée des droits des femmes" à l’ensemble de l’année, un 8 mars toute l’année.

Le site, dont la ministre nous confiera plus tard qu’il a été réalisé en interne pour cause d' enveloppe budgétaire limitée, suscite quelques réactions épidermiques dont celle de Gaëlle-Marie aka La Peste qui rompt avec le velouté de l'exposé sous boiseries.

En substance, Gaëlle-Marie demande en quoi, ce "blabla ministériel"TM et nos amis les twittos vont changer le quotidien de l'épouse qui se fait tabasser par son mari ou de l'adolescente en province se retrouvant seule face à sa grossesse non désirée avec et une forte présence de sites d'aides cachant en fait de la propagande anti-IVG? Pas décontenancée, NVB rétorque que le calendrier n’est qu’un élément et défend ce qui a été accompli depuis qu’elle est et son équipe sont en poste [voir sur ce lien] avant d’esquisser les grandes lignes de sa loi-cadre sur les droits des femmes présentée en mai prochain[1].

La discussion se poursuit après la présentation. J'y vais de ma synthèse Peste / Ministre : nous allons tous dans le même sens, pas forcément à la vitesse pas par les mêmes chemins, ni avec la même implication. Il y a l'urgence du quotidien et l'indispensable action de terrain, mais aussi des clichés et des modèles de représentation à renverser. Et là aussi, gros boulot tant la domination masculine est encore bien inscrite à tous les étages de la société, le machisme relayé médiatiquement avec plus ou moins de conscience, autant dans les contenus que dans la sous-représentation, ou une certaine représentation, des femmes. 

Ce canevas influe inévitablement, et dès l'enfance, sur les mentalités, masculines comme féminines et joue dans la perpétuation des schémas les plus cons, les inégalités de salaire ou la répartition des taches ménagères dans les couples.

Ce qui me rappelle qu'elle va bientôt rentrer du boulot et que j'ai encore une tonne de vaisselle à faire avant d'aller chercher les gosses.

[1]  4 axes (Egalité professionnelle et articulation temps de vie perso / pro, les violences, la parité dans le milieu politique et les instances consultatives, le statut des femmes étrangères sur le sol français)

Article connexes
- Le problème avec les FEMEN
- L'Express et les femmes
- Une journée de l'infâme

Illustration: Politeeks

2 mars 2013

Qui a lu Le Monde ne le lira plus

par

Chaque année, entre ses couvertures sur l'immobilier, les francs-maçons et l'impératif d'austérité, dans son aristocratique bonté et en attendant l'argent de poche de Googlela presse daigne verser une larme de ses millions de subventions publiques pour annoncer la mort des blogs pour cette année. 

Cette fois, ça se passe sur le site du Monde (oui oui, le canard qui était à moins une de disparaître en 2011) et ça s’appelle "Qui blogua, ne bloguera plus". Le journaliste, Olivier Zilbertin, se demande "qui consacre du temps à leur lecture" et livre en quelques lignes sa réponse: personne. 

Bon en fait, le court article en dit moins sur les blogs que sur les journalistes : "Autant de questions qui fâchent, et qui seraient de nature à mettre le feu à la blogosphère". Celle-ci étant vue comme un truc homogène, un effet de mode (plus de 10 ans quand même) fortement incité à l'euthanasie, mais dont le journaliste peut, en trois paragraphes, réveiller les forces assoupies pour faire le buzz et ramener, à la saison creuse, un peu d'audience sur le site mère. 

On doit être, à la louche, quelque part entre 15 et 20 millions de blogs en France. En admettant que chacun ait juste un lecteur unique par jour, selon les chiffres de l'OJD, cela surpasse de 60X le nombre quotidien de lecteurs payants du Monde (325.295 en 2011).

O.Zilbertin, lui, appuie l'argumentation de sa chronique d'une mort annoncée sur la baisse de fréquentation d'un seul blog (par ailleurs arrêté durant des mois). Celui de Thierry Crouzet, un ami écrivain m’ayant confié par ailleurs qu’il pensait que c’était précisément depuis qu’il avait un discours critique sur internet - vu sous l'angle de l'addiction dans son livre j'ai débranché - qu'il intéressait plus largement les journalistes.

Vil blogueur, mon petit exemple en vaut bien un autre. La lecture moyenne par billet augmente ici  d'année en année. Si je veux être plus lu, il ne tient qu'à moi d'écrire plus. Ouaip, on n'est pas loin du travailler plus pour gagner plus, sauf que je ne gagne rien. Ce qui, ne le cachons pas, finit par peser à un moment ou à un autre sur la production. La gratuité, "liberté" du blogueur, est aussi son talon d'Achille, un élément non négligeable de cette "lassitude" souvent évoquée par les fossoyeurs de blogosphère (par les mêmes s'insurgeant qu'un blogueur soit rémunéré pour la reprise de son texte sur un site de presse). 

O.Zilbertin évoque aussi le haut du classement des blogs Ebuzzing (ex-Wikio) où figurent de moins en moins de blogs. Olivier lirait les blogs avant d'écrire leur faire-part de décès  il y aurait appris que nous avons été une trentaine de blogueurs dans les 100 premiers du classement général à en claquer la porte à l’automne dernier pour les raisons qu'il évoque: ce classement de "blogs" mélangeait depuis quelque temps tout et n’importe quoi, du portail délocalisé à 60 contributeurs, à la déclinaison média jusqu'aux agrégateurs de news aspirant des contenus de blogueurs et bientôt Le Monde pourquoi pas ? Loin donc de l’esprit du "classement de blog" des origines.

O.Zilbertin pointe la "montée en puissance" des réseaux sociaux dans ce "processus" (la mort des blogs dans d’atroces souffrances, si t'as bien suivi). Tiens, en plus de comprendre les blogs de travers, il ne capte pas non plus Twitter.

1 / Twitter ou Facebook sont des variantes du blog[1]. Mieux vaut parfois un bon tweet qu’un article trop long (comme ce que je suis en train de faire). Tout le monde gagne du temps. 

2 / Parlons synergie : les lecteurs du blogs ne sont pas forcément sur Twitter, ceux de Twitter pas forcément sur Facebook etc… Les audiences ne se divisent pas, elles s'additionnent. 

Notons au passage que ce sont les journalistes (presse / tv / radio) les plus friands de tweets et qu'ils aspirent à profusion ces contenus ayant le triple avantage d'être courts, déjà écrits et pas par eux (c'est plus safe au niveau des opinions). Je suis parfois cité dans la presse, à la télé ou à la radio pour des tweets rédigés en trois secondes et, quasiment jamais, pour mes articles de blog m'ayant pris des heures[2]. Mais chut, O.Zilbertin va encore écrire que "le débat citoyen semble s'étioler sur internet" et Joffrin brailler que tout ça, c'est la faute au web réducteur de la pensée.

La vérité, c'est que beaucoup de journalistes méprisent les blogs (sauf lorsqu'il s'agit de faire leur promo ou de remplir leurs propres sites avec du contenu à prix cassé). Mieux que ça, sans que je m'explique rationnellement pourquoi, il les craignent et donc les souhaitent annoncent régulièrement morts. Je dis "blog", mais on peut étendre cette défiance aux réseaux sociaux et, pour les cas les plus désespérés, à internet dans son ensemble.

Les blogs vont et viennent, se régénèrent, meurent, naissent, se regroupent, au rythme des humeurs et de la vie de chacun, car ils sont "dans la vie". Qu'ils aient 1 ou 1 million de visiteurs. La  question la plus urgente à se poser pour un journaliste du Monde n'est pas celle de la date constamment repoussée des funérailles de cette concurrence qui n'en est même pas une, mais bien quel lecteur du Monde le lira encore demain?

Plus grand monde ne paye déjà plus pour ça, si j’en crois les impressionnantes pertes du journal ces dix dernières années.

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