14 juin 2010

Karachi, on insiste !


"Écoutez, c'est ridicule. Franchement c'est ridicule. [...] Soit ,il y a des éléments donnez les nous. [...] C'est grotesque... qui peut croire à une fable pareille ? [...] pfff... [...] M'enfin franchement [...] Mais qu'est-ce... [...] Honnêtement [...] On est dans un monde ou la notion d'état n'existe plus [...] Je ris pas du tout parce que Karachi c'est la douleur de famille et de trucs comme ça mais que voulez-vous que je réponde là-dessus ?""

Telle fut la puissante réaction de notre Monarque il y a juste un an. Un journaliste méritant lui demandait de commenter la nouvelle piste prise dans l'instruction sur l'attentat de Karachi. Rappel : Le 8 mai 2002, l'explosion d'un bus causait la mort de 14 personnes dont 11 ouvriers français de la DCN originaires de Cherbourg.

Bien que non revendiqué, l'attentat était jusqu'alors attribué à Al-Qaida.



48 heures avant. A la lumière de nouveaux documents publiés dans Mediapart, le juge Trévidic[1] s'orientait vers l'hypothèse du règlement de compte entre services secrets consécutif à un non versement de rétro-commissions dans le cadre d'une vente de sous-marins entre La France et le Pakistan en 1994. (cf Dis-papa c'est quoi une rétro-commission ?)

Des commissions prélevées sur ces ventes auraient contribué au financement de la campagne présidentielle d'Édouard Balladur. Notre actuel Monarque était alors son Ministre du Budget, son porte-parole et son directeur de campagne. Si embrouille il y eut, totalement impliqué il fut. On explique alors mieux son embarras au pupitre.

Quelques ricanements compulsifs saucés de mépris plus tard, les familles des victimes, des blogueurs et une poignée de journalistes sont convaincus que :

1 / notre monarque sait plus de choses qu'il ne le bafouille.

2 / ce qui a tout de l'affaire d'état a aussi toutes les chances d'être rapidement escamotée. D'autant que nombre de documents sont classés secret défense.

Le secret sera levé promet Hervé Morin. Le juge recevra plusieurs mois après un rapport de 137 pages ... dont seuls quelques paragraphes ont été laissés visibles.

Comme anticipé "l'affaire" disparait presque de la circulation.

Octobre 2009. De nouvelles pièces et révélations, rassemblées sur le blog Karachigate - lancé dans la foulée de la fabuleuse prestation bruxelloise -, nous éloignent encore un peu plus de la piste islamiste.

"Cette histoire, c'est du lourd" me confie à cette époque un député ayant eu vent de quelques aspects du dossier. Et de me préciser qu'il lui semble peu probable que les journalistes français aient une réelle volonté d'approfondir le sujet.

Décembre 2009. Par le biais de leur avocat, Maitre Morice, et sur la base des éléments réunis par le juge et la presse, le collectif des familles des victimes ouvre un "second front judiciaire" en annonçant le dépôt d'une plainte pour "entrave à la justice, corruption, faux témoignage et extorsion" (en plus de l'information pour assassinat).

Me Morice affirme que dans cette affaire de financement occulte, celui qui succédera à Chirac en 2007 était "au cœur de la corruption."

(cf. intégralité de la conférence en vidéo)



L'Élysée se fend dans la foulée d'un communiqué qualifiant les propos de "diffamation" (aucune action judiciaire dans cette direction ne sera engagée.)

Quelques semaines après, le parquet de Paris ouvre une enquête préliminaire pour «corruption et entrave à la justice» dans le cadre de l'affaire de la vente de sous-marins au Pakistan.

26 avril 2010 : Médiapart et Libération publient des documents bancaires, anonymement envoyés en février à Maitre Morice, faisant état d'un versement de plus de dix millions de francs en liquide et en grosses coupures sur le compte de l'Aficeb, l'Association pour le financement de la campagne présidentielle du candidat Balladur. On apprend également que deux intermédiaires imposés à la DCN par le gouvernement Balladur après la conclusion du contrat de vente au printemps 94 ont reçu 54 millions de francs (première partie d'un montant bien plus important dont le versement devait s'étaler jusqu'à la fin 1995).

Le lendemain, l'ancien premier ministre dément tout financement illégal de sa campagne mais ne conteste pas le versement des dix millions, pas plus qu'il ne revient sur leur origine.

Début mai 2010 : A l'approche de la publication d'un livre de Fabrice Arfi et Fabrice Lhomme, journalistes de Médiapart enquêtant sur l'affaire depuis plus d'un an (le livre fera l'objet d'une tentative d'interdiction), d'autres rédactions s'y attardent enfin plus longuement :


Le 12 mai 2010 est publié le rapport de la mission parlementaire sur l'attentat de Karachi.

Il n'apporte rien de neuf, qualifie la piste islamiste de "plausible"mais n'écarte pas le lien entre l'attentat et l'arrêt, sept ans plus tôt, du versement des commissions par un Jacques Chirac fraichement élu à la Présidence de La République. Le rapporteur de la mission, le député PS Bernard Cazeneuve multiplie les interventions dans les médias pour dénoncer les nombreux blocages que l'exécutif lui a opposé. "C'est une véritable entrave au travail du Parlement." Exemple : Christine Lagarde refusant l'audition de fonctionnaires concernés par la vente d'armes.

Le député est convaincu : L'affaire dérange le pouvoir.



Dés lors, comme l'écrit Le Coucou sur son blog :

"Le fait d'en dissimuler des éléments sous le secret d'état, de faire la sourde oreille aux demandes des députés de l'opposition est, en soi, un aveu de mauvaise conscience politique.

Que l'on ne vienne pas nous resservir le contre-argument dilatoire de la présomption d'innocence. Puisqu'il a des choses à cacher au peuple souverain, le pouvoir est au moins coupable de dissimulation. D'ailleurs tout pouvoir qui s'exerce dans le refus d'un contrôle total de la représentation nationale est suspect par essence."

A l'approche de sa campagne de réélection (contraignante formalité démocratique), il apparait clair que le monarque fera tout pour freiner cette fumeuse embrouille. A la lumière de ses potentialités boules puantesques, on explique mieux sa récente ingérence dans les choix actionnariaux d'un grand titre de la presse.

"Le contrat" sort finalement en libraire le 18 mai. Son sous-titre : "Karachi, l'affaire que Sarkozy voudrait oublier."[2]


2 juin 2010 : Un rapport de police luxembourgeois datant de 2008, mettant en cause notre monarque, est porté à la connaissance de la presse. Selon les policiers du Grand-Duché, "une partie des fonds qui sont passés par le Luxembourg reviennent en France pour le financement de campagnes politiques françaises" au travers d'un dispositif occulte et particulièrement sophistiqué.

Le grain de sable dans la communication monarchique devient un caillou dans sa pantoufle de campagne. Tandis que Maitre Morice enfonce le clou dans les médias, les sbires umpesques se mettent en rang pour défendre leur poulain.

Pendant ce temps, M6 lance Dilemme et la première compagnie fait chauffer la coupe du Monde.

Un an après la bouffonnerie Bruxelloise, plus de huit ans après la mort des ouvriers de Cherbourg, la commission consultative du secret de la défense nationale statuera cette semaine sur la nouvelle demande de déclassification des documents.

Dans une interview donnée à 20 minutes en mai dernier, Julie Leclerc et Magalie Drouet réaffirment leur conviction dans cette quête de vérité au nom de leurs pères :

«De toute façon, on n'a pas le choix : ce n'est plus imaginable qu'on s'arrête maintenant.»

Maintenant moins que jamais, ne pas lâcher Karachi.


[1] Succédant au juge Bruguière qui s'est malencontreusement endormi sur la procédure durant 6 ans.

[2] Le mercredi 30 juin à 19 heures, à la Maison des métallos de Paris, Mediapart organise un débat autour de l'affaire Karachi avec les auteurs de l'enquête, un défenseur des victimes, le député rapporteur de la mission d'information...


Pearltree Karachi Gate par dates de publication :

Karachi Gate

Merci au site La Rage au ventre pour ses captures vidéos.

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