8 mars 2009

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une affaire qui roule (conte de la consommation contrariée)


Au crépuscule, les grues des chantiers abandonnés découpaient la ligne d'horizon de cette banlieue reculée. Depuis sa terrasse au cinquième étage de la tour Utopia en plein square Coluche, Laurent fixait pensif les barres d’immeubles, tiraillés entre modernes et en ruines, mouchetées de leurs écriteaux A vendre ou A louer.

Stoppant net l'anticipation que son appartement (dont la dernière mensualité serait réglée quand sa gamine, née au sommet de la bulle immobilière, atteindra son âge) poursuive sa déconfiture foncière,
Laurent jeta son mégot du balcon, visant discrètement ces enfants un peu trop bronzés chahutant en contrebas entre quelques sans-logis. Objet de sa haine : Ces misérables accentuaient la décote d'un quartier que les promoteurs lui avaient juré prometteur.

Magali s’assit à ses côtés sur le transat en faux Tek Ikebas, s'allumant une roulée. Après le discount, ventes-élitistes.com et l'achat d'high-toc à prix cassé sur internet, la droguée des marques s'adonnait à cette grande découverte des collègues de bureau dans la même panade financière qu'elle : Les roulées, c’est moins cher.


- Alors Love, tu le veux vraiment ce deuxième enfant ?
Pas vraiment convaincue que la première tentative, coûteuse, colérique, ultra-matérialiste et hyper-active, fusse un succès.
- Pas avant que l’on ait un Picasso. Lui répondit le trentenaire se rongeant les ongles.

Comme il n’avait plus d’épargne, l'endetté avait demandé un plan de relance à ses parents et beaux-parents pour financer l’apport initial d'un monospace gris métal, 5 portes et 6 places. Il attendait la réponse, angoissé. Magali approuvait. Plus que leur Polock vieille de déjà deux ans et désormais sans valeur parce qu'elle vient tout juste d’être finite de payer, un Picasso s'accorderait tellement mieux avec la maison secondaire des parents à Oléron où le couple se rendait en vacances chaque année parce que, comme les roulées, ça coute moins cher.

Pour achever de convaincre une Magali par ailleurs pas chaude pour tenter une cinquième fois de décrocher un permis de conduire bien trop onéreux, Laurent s'empressa de vendre La Polock à ce con de voisin du troisième : 2000 euros sans discuter.
- Tu comprends Love, il nous faut une voiture. A moins de 15.000 Euros[1] on ne trouvera rien. Rabâchait Laurent depuis des semaines en feuilletant les catalogues sur papier glacé du concessionnaire de voiture de luxe à bon marché l'ayant alléché au rabais spécial crise.

Chef de budget déficitaire, Laurent incitait depuis peu Magali à faire du baby-sitting et des ménages le soir dans les beaux quartiers en plus de son poste de conseillère clientèle en prêts bancaires pour mettre du beurre dans les épinards et de l'essence dans le réservoir.


- Je sais bien, Love.
S'excusait la femme libérée.
Ne se faisant pas à l'idée de devoir patienter pour posséder, depuis deux jours, Laurent craignait anxieux que la subvention familiale soit refusée, ce qui froissait le moral de Magali. Du coup la jeune maman, selon son homéothérapeute attitré, était victime d'une rhinopharyngite à picornaviridés au pronostic incertain. Ce que les hérétiques qui ne regardent pas Grise anatomie ou Dr Maousse nomment trivialement : Un rhume à la con qui finira bien par se guérir.

En cas de refus, les fondements de leur économie domestique vacilleraient.

Les parents de Laurent et Magali se dépatouillaient également dans une période confuse, embourbés dans des retraites pas aussi juteuses qu’ils l’escomptaient par rapport au train de vie dont ils jouissaient depuis des années. Mais ceci est une autre tragi-comédie sur laquelle nous reviendrons dans un autre billet.
- La vache, c’est le moment de faire des affaires ! Lança le jeune dopé aux agios, gonflé par la confiance, comme les dirigeants pour qui il avait voté et voterait encore, que ce monde de croissance dont il avait été le témoin gâté depuis son enfance, même s'il souffrait de ratés, jamais ne se briserait.
L'aubaine :

- Les voitures sont graves moins chères !

A croire, pour celui qui y réfléchissait un peu, que leurs prix d'avant la crise étaient du vol. Obnubilé par la carotte, Laurent s'en persuadait à longueur de Capital : La crise avait du bon pour ceux qui étaient malins.
Certes, des menaces pesaient sur l'avenir professionnel du jeune homme. Magali, elle, s’était déjà vue supprimer ses heures supplémentaires et sa prime sur objectif. En un semestre, les revenus du couple avaient diminué de 15%. Les traites s’accumulaient. Quant aux impôts locaux...

- M'en parle pas Love, putain d'impôts pour payer ces assistés qui font que gueuler !

Ce couple se vivait à la peine
. L'horizon
du toujours plus, garanti sans aspérités, arc-en-ciel professionnel et chamallows télévisés inclus, s'obscurcissait. Immédiatement, par instinct de survie, Laurent et Magali reprirent leurs esprits en se répétant le mantra de l'abbé Pierre :

- Mais c'est pas possible...


Dans le monde de l'après-crise, ils pourraient toujours se raccrocher aux deux fondamentaux de la classe moyenne : Travail salarié et consommation récompense. En échange d'un labeur où, à jamais, ils se dépenseraient sans compter, ils comptaient toujours dépenser contents. Comment pouvait-il en être autrement ?

En attendant le retour de la croissance promise, il fallait se serrer la ceinture, ne pas la ramener au boulot et slalomer tête baissée entre les plans sociaux.

Tout de même : Quel stress !

Pour se rassurer et parce que l’état les y incitait, sur la base de 25 ans de vu a la télé et d’observations de l'hystérie familiale en camp de consommation hédoniste, le petit couple faisait comme toujours
pour dissiper sa terreur : Il achetait.
Le soleil disparaissait derrière la colline enclavant la zone aux endettés.

Amoureux de sa vie gadgetisée à la vitrine constamment réassortie, le couple se prit la main. Elle, songeait à cette table en verre poli vue chez Mondial Bibelo qui irait si bien avec sa desserte en imitation marbre retro éclairée dans la chambre d'amis où dormaient les cartons d'objets et, parfois, des objets même pas déballés. Lui, voyait dans les yeux de sa belle le Picasso se fondant entre les autres sur le parking du boulot. La différence, il la ferait : Sur le sien, il y aurait une boule pour tracter.

Dans un instant, il ferait nuit .

- On va s'en sortir Love.
Avec leur toit sur la tête, ils ne seraient pas les premiers à sombrer sur le champ de bataille. La première salve serait pour les pauvres, ceux d'en dessous qui les répugnaient. Et après ? Qui rampera au combat ? Après on verra.

L'hiver pas fini, sans soleil, un frisson les envahit.
Ils restèrent interdits un instant quand le téléphone sonna. Ils n'étaient plus habitués à avoir des appels. Magali décrocha le combiné designé par Starck, une perle de technologie.

Laurent tremblait en fixant sa moitié de revenus. Le voile de ténèbres plombant son expression fut vite décodé par l'intéressée.
Sous la forme d'un refus des beaux-parents de Laurent (secrètement motivé par l'envie des retraités d'acheter un appartement au soleil) et après les restrictions salariales, un nouveau boulet de canon de la sale guerre économique estropiait le jeune couple, cette fois dans ce qui lui tenait le plus à cœur et conditionnait son union : Le pouvoir de dépenser.

- Tu verras Love, un jour on se vengera.


[1] 144 euros/mois, contrat d'assistance pour 2 ans inclus.



Seb Musset est l'auteur de Avatar et Perverse Road disponibles ici.

14 comments:

Anonyme a dit…

à 144 euros par mois, il va la payer en 8 ans sa voiture neuve assuré 2 ans ?

Il aura fini de la payer qu'elle ne vaudra plus rien, d'une, et de deux, sa soif de dépense aura besoin d'être étanché bien avant..

Constantin a dit…

Ah que c'est bon !
Merci...
Juste un petit bémol de hard-sociology : vu l'âge et le style du héros, la "boule à tracter" n'est-elle pas un peu archaïque ?

Denis a dit…

Seb, une toute petite question : tous ces faits que tu nous rapportes sont-ils des expériences réelles légèrement modifiés par le prisme de ta critique ou tout cela est le fruit de ton imagination ?

A Constantin : pourquoi ? Tu connaitrais un système "sans fil" ? Tracter sa caravane pour SDF avec des aimants ?

kaotoxin records a dit…

Seb, je t'aime!

Anonyme a dit…

Sérieusement t'en connais des comme çà? Je veux dire des "exactement" comme çà? Je pense que çà doit exister, le peu de fois ou je vais à la zone commerciale j'en croise, mais je pensais pas qu'il soient si caricaturaux.

A propos, j'ai vu hier le "66 minutes" sur M6, spécial crise! Je pense qu'il mériterait un billet, rien que pour le petit couple de restaurateurs endéttés et "studioliné de lorial" de 23 ans et leur menu "Spécial Crise à 3€50,

C'est exactement tout ce que tu as dit sur la génération M6, sauf que maintenant ils ne se cachent plus!

P.S: + le sandwich à 1€ pour les pauvres...pffff

Anonyme a dit…

Il faut de tout pour faire un monde, mais pas le monde ...

Mon vieux me disait "Si on veut pas d'emmerde avec la blé, il faut pas dépenser celui que l'on a pas"

A l'heure actuelle c'est sur qu'il faut pas peter plus haut que l'on a le cul !
Personnellement, je reduit tranquillement, je suis passer des courses hebdomadaire de Super U, a ED et au petit marché du coin, je me suis mis a la mob a + de 40 balais, je garde ma vieille caisse,que j'aime, une authentique Chevrolet caprice de 1979 avec son V8 de 5 litres, parfait pour les longs trajets (par la nationale) et les courses (pour le coffre immense),assurance légére et entretien facile, plus de restau, j'aime cuisiner, et surtout pas de portable, , plus de TV, c'est le parfait instrument de contrôle mental, ont préferent lire, pas de portable etc ... Je bricole le plus possible par moi-meme (la on apprend des choses), j'ai des poules et un potagé, je pratique le troc avec les copains et les voisins, et bien j'en suis HEUREUX ! De toute façon le but du jeu des "élites" , c'est l'éradication de la classe moyenne, quand vous aurez compris sa, vous aurez compris que quoi que vous fassiez, sa ira en empirant !
Ce dont je suis certain, c'est que tous ceux qui n'auront pas de dettes, qui ne devront rien ni au gouvernement ni aux banques, qui n'auront pas de crédits sur le dos, et qui pourront à peu près se suffire à eux-mêmes, ceux-là s'en sortiront sans doute mieux que les autres.
Pour revenir aux "zélites", je pense que Leur principal point faible est leur arrogance. Ces gens pensent qu'ils sont intouchables. Cela peut leur faire commettre des imprudences...

Anonyme a dit…

Salut

Si le couple que tu me décris existe, ils sont pathétiques, voir méprisants.
La seule envie de se venger car ils n'ont pas eu un crédit de leur parents, c'est minable!
Mais dans quelle société vit-on? N'y a t-il plus que la bagnole et l'immobilier pour exister?
Quelle est la relation au monde, aux autres de ces gens-là? Quel est leur but dans la vie? Quelle est leur philosophie de vie? Avoir le dernier Picasso pour la montrer au travail.
Je suis naif et je veux le rester en pensant que des gens comme ca sont rares.
Pour réagir comme ca, ces gens n'ont aucune valeur morale!

Anonyme a dit…

Concernant le Picasso, une petite réflexion. Les constructeurs automobile nous prennent en otage en nous imposant des innovations onéreuses. Et 80% de ces innovations sont inutiles. Exemple: ABS, airbag, ESR, repartiteur de freinage, désign de merde du futur. Je propose que les constructeurs ressortent les mêmes modèles qu'il y a 20 ans en ajoutant ponctuellement les innovations qui me semblent pertinentes comme par exemple la boite de vitesse automatique et la climatisation. Oui parceque en été, la bagnole devient un véritable four. Et je trouve que c'est vraiment con de passer les vitesses sauf pour les F1 car c'est un geste technique de passer les vitesses. De toute façon je suis conscient que les bagnoles polluent. Au même titre que les avions. A mon sens, l'utilisation de la voiture ou de l'avion doit rester très exceptionnelle dans un but vital comme le médical. Et personne ne se révolte contre ça !

Anonyme a dit…

Et la clim et la boite auto ca existe depuis 50 ans sur les americaines ! Ma Chevrolet en est équiper, je l'ai eu en l'échangeant contre ma Ford Sierra au bord de la route d'Arpageon (N20), depuis 150 000 kms avec sans 1 probléme !
Des bagnoles il y en aura toujours, elle tournerons a autres chose, l'essence synthétique date de la guerre de 40, pour l'electrique, sa pollue aussi(recyclage batterie), enfin ont va pas remettre sa sur le tapie. Clap de fin ! comme dit notre GF.
Inquiétés vous plutot de votre avenir et de celui de vos proches !
déja qu'a l’occasion du 60ème anniversaire de la création de l’OTAN, les 3 et 4 avril prochains, Nicolas Sarkozy annoncera le retour de la France au sein de son commandement intégré.
Il s’agit d’abord d’une véritable trahison.
Pas une fois pendant sa campagne en 2007, le candidat Sarkozy n’avait expliqué aux Français qu’il braderait l’indépendance du pays une fois élu. Au contraire, il s’était attelé à les rassurer sur l’avenir de la relation franco-américaine, et la position de la France vis-à-vis de Washington, ”alliée mais pas alignée”.
Bon, de toutes façons, Sarkozy a toujours trahi tout le monde. Rien de nouveau sous le soleil.
Le pire, c’est qu’il nous lie aux américains, alors que ceux ci s’effondrent .
Le financement est pour l’essentiel américain, et ils sont
en cessation de paiement, ça veut dire qu’on va payer un max
pour se faire allumer en afghanistan et bientot en Iran, la, le litre de 95 a 2€ !
Cette évenement et un tournant dans l'histoire mondiale, bientot des représentant de l'Otan au sénat ! ...
S’il existe encore, un souvenir gaulliste, dans ce pays c’est le moment
de faire jouer l’article 68 Titre IX de la Constitution et destituer un Président traître à sa nation !

Anonyme a dit…

@ JF Byers

Sans compter le poids que celà rajoute aux bagnoles!! Il y a 20 ans des voitures consommant entre 4 et 5L/100km étaient courantes (205, AX...), maintenant c'est rare. Surtout que les consommations annoncées par les constructeurs deviennent de plus en plus optimistes alors qu'elles étaient pessimistes il y a encore 10 ans. Dans la majorité des cas aujourd'hui il faut rajouter entre 0,5 et 1L/100km pour avoir la conso réelle à l'usage. Pourtant avec ma vieille 306 annoncée pour 8L, j'en fais 7! Le bonus/malus écologique doit y être pour quelque chose ou alors je ne sais pas conduire une voiture neuve :-D

Sinon pour la F1, ce sont des boites séquentielles, comme sur une playstation.

Pour finir sur les bagnoles, après on arrête, il est possible aujourd'hui de produire des voitures à 3 voir 2L/100km. Il suffit de prendre une masse de 205 ou équivalent, d'y mettre un petit moteur récent, d'en améliorer l'aérodynamique et le tour est joué. Mais on préfère nous vendre des 207 de 1200kg (masse d'une grosse berline allemande il y a 20 ans) avec 110ch dedans...

Anonyme a dit…
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
Anonyme a dit…

Ce matin, au réveil, j'ai le malheur de me brancher sur France-Intox. Le sujet: la fermeture de l'usine Continental. Au micro, un jeune couple en plein désarrois, dont le mari, si je me souviens bien, a été licencié, se demande comment il va bien pouvoir rembourser son crédit imobilier de 25 ans. Pour eux, ce matin là, le réveil fut assurément plus brusque que le mien!
Du Séb Musset grand cru!
Peut-être le reportage est-il écoutable sur leur site?

Un autre Séb

Anonyme a dit…

iMMobilier...

Je me souviens que la femme parlait de retourner vivre en appartement avec une honte et un dégoût certain. J'en aurais presque ri si la colère n'avait pris le dessus...

Un autre Séb

Anonyme a dit…

HS - la clim utile : prenons une bagnole équipée d'un blanc prêt être sali au lieu d'un superbe noir laqué, réduisons la surface vitrée pour ne plus avoir une surface ultra 3d panoramiX. La clim deviens rapidement inutile.
C'est assez courant dans notre société, des innovations (marketing et inutiles ici, enfin c'est pas rare) créent un problème, on le résous par la technique en entrainant d'autres -> cercle vicieux (et financier) sans fin.

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